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Délibération 17540309(01)



Nature Délibération en séance plénière
Code de la délibération 17540309(01)
CODE de la session 17540131
Date 09/03/1754
Cote de la source C 7491
Folio 182r
Espace occupé 67, 5 pages

Texte :

Du samedi neuvieme du mois de mars President Monseigneur l'archeveque et Primat de Narbonne Commandeur de l'ordre du S[ain]t Esprit.
Monseigneur l'Eveque de Montpellier a dit que MM. les Commissaires des travaux publics se sont assemblés pendant plusieurs jours chez Monseigneur l'archeveque de Narbonne pour examiner l'importante affaire concernant la jonction du Canal Royal de celuy qui est proposé depuis le Sommail jusqu'au Grau la Nouvelle par la robine de Narbonne. Le seul point dont conviennent les differentes parties interessées dans cette affaire et les plus opposées entr'elles dans leurs pretentions, c'est que l'importance de cette affaire selon M. le Marquis de Crillon autorise à entreprendre le nouveau Canal de jonction par la cession des droits de la ville de Narbonne et en vertu d'un arret du conseil, le nouveau Canal doit porter au dernier degré de perfection le grand ouvrage de communication des mers, un des plus glorieux monumens du regne de Louis XIV et la source feconde des grands avantages qu'a procuré à tout le royaume et à cette province en particulier la navigation de la Mediterranée à l'Ocean par une route sûre et commode.
Selon M. le Marquis de Crillon le canal qui multipliera les branches de la navigation augmentera aussi les ressources et les debouchés pour le commerce, facilitera le transport des marchandises, previendra les obstacles qui arretent souvent les batimens qui sont sur le Canal royal et diminuera considerablement les frets et et les nolis des chargements. Il soutient en même têms que bien loin que l'execution de son projet porte aucun prejudice au Canal Royal il ne veut entreprendre le nouveau Canal que sur les assurances les plus precises, que non seulement le Canal Royal n'en souffrira point mais qu'il luy en reviendra même de grands avantages, et il s'appuye sur les differentes verifications qui auront été faites par plusieurs ingenieurs.
MM. les proprietaires du Canal Royal opposent au contraire que le projet de ce nouveau Canal est chimerique si l'on pretend qu'il puisse avoir lieu sans assujetir le Canal Royal à des degradations et des derangements inevitables, que la province est d'autant plus interessée à empecher l'execution de ce projet qu'il n'en reviendroit pas à beaucoup près assés d'utilité pour compenser les justes craintes qu'elle doit avoir du prejudice que le commerce en recevroit, que ce seroit perdre dans un instant le fruit des depenses immences qu'elle a faites pour la construction du Canal Royal et de l'attention continuelle qu'elle a eû pour l'entretenir, si elle fermoit les yeux sur un ouvrage capable de le detruire. L'une et l'autre partie ont appellé à leur secours les differentes villes et les chambres du commerce tant de cette province que des voisines et raportent plusieurs certificats favorables ou contraires au canal de jonction.
M. de Montferrier a fait un raport fort etendu à la commission des raisons de toutes les parties, de tout ce qui s'est passé à ce sujet depuis les premiers têms ou l'on a pensé à ce projet jusqu'aujourd'huy.
Le Canal Royal etoit dans sa perfection et le Roy l'avoit donné en toute propriété et à titre incommutable à M. de Riquet pour en jouir et ses successeurs à perpetuité avec un droit de peage sur tous les batimens et marchandises qui y passeroient en montant ou en descendant, à la charge d'entretenir led. Canal depuis la premiere Garonne jusqu'à Agde et d'y faire toutes les reparations necessaires. C'est en vertu de ce titre que M. de Caraman croit etre en droit de s'opposer à tous les ouvrages qui ont raport à ce canal et qui peuvent en interrompre ou en troubler la navigation.
En l'année 1685, le Roy permit par un arret de son conseil à la ville de Narbonne de faire construire à ses depens un canal de la Robine au Canal Royal et commit M. d'Aguesseau pour dresser un proces verbal de l'utilité et avantage dud. Canal et de ce à quoy reviendrait la depense suivant la visite et estimation des experts et des gens connoisseurs. M. Daguesseau proceda en execution à cet arret et sur son proces verbal et son âvis, le Roy ordonna par un second arret du 2 juillet 1686 qu'il seroit construit un canal de jonction à la Robine de Narbonne qui aboutiroit au Canal Royal et qu'il seroit procedé au bail et au rabais desdits ouvrages par M. de Basville pour lors Intendant, le même arret assigna les fonds que la ville de Narbonne devoit employer à cet ouvrage, M. de Riquet recut en même têms un ordre de M. de Seignelay de faire un devis de ce travail, d'en evaluer la depense, ce qui ayant été executé, le bail en fut passé au S[ieur]Maton architecte de Lyon pour la somme de cent sept mille livres et l'entrepreneur obligé de l'achever à la fin de septembre 1689. Les ouvrages furent commancés pour lors, on creusa un canal, on construisit quatre ecluses. Il ne restoit plus que trois quarts de lieue de canal à creuser et d'en distribuer la pente jusqu'au Canal Royal en cinq ecluses, lorsque l'ouvrage fut suspendu et il l'a été jusqu'aujourd'huy.
En 1709 la ville de Narbonne fit quelques demandes pour qu'il luy fut permis de reprendre cet ouvrage mais il ne semble pas qu'elles ayent eû aucun effet. Ce fut en 1736 que le frere Pons religieux carme demanda aux Etâts par un memoire qu'il fut permis à la ville de Narbonne de reprendre la construction des ouvrages ordonnés par l'arret du conseil de 1686, si mieux elle n'aimoit en charger une compagnie que le frere Pons presentoit. Sur cette proposition, il fut deliberé le 30 janvier 1736 qu'il convenoit d'examiner ce qui avoit donné lieu de discontinuer les ouvrages pendant si long têms et apres les depenses considerables qui avoient été faites. On chargea MM. les Sindics Generaux de prendre à ce sujet les eclaircissements necessaires pendant le cours de l'année, et de se faire remettre les memoires tant de la ville de Narbonne que des propriettaires du Canal Royal et autres qui pourroient avoir interet à ce projet pour les examiner de concert avec M. de Bernage et en rendre compte aux Etâts prochains.
La ville de Narbonne traita pendant ce têms là soûs le bon plaisir de Sa Majesté avec le Sieur Mathieu Siau de Gignac et luy ceda et à sa compagnie tous les droits qu'elle avoit sur le Canal de jonction avec les mêmes profits, âvantages et charges qui luy competoient aux conditions enoncées, cependant MM. les Sindics en execution de la deliberation des Etâts du 30 janvier 1736 en firent part aux Consuls de Narbonne, Cette, Agde, Beziers, Carcassonne et Castelnaudarry en les priant de les communiquer au conseil politique et aux marchands et negociants et d'envoyer les memoires et observations qu'ils auroient fait sur ledit projet, l'on en fit part aussi aux chambres de commerce de Toulouze et de Montpellier et aux propriettaires du Canal Royal.
Les Consuls de Narbonne pretendirent etre sufisament autorisés à la continuation du Canal de jonction en vertu de l'arret du conseil de 1686 et qu'ils n'avoient aucun memoire à donner pour justifier ce projet, dont ils faisoient d'ailleurs valoir les raisons qu'ils avoient de le soutenir, ce canal etant le seul moyen pour cette ville de se relever du triste etât ou elle se trouvoit, de retablir son commerce dont la cessation la menaçoit d'une ruine prochaine, et pretendant que le Canal de la Robine dans l'etât present luy etoit plus à charge qu'utile et que les depenses necessaires pour son entretien excedoient les droits qu'elle perçevoit. La ville de Castelnaudarry exposa dans un memoire les raisons qui la determinoient à approuver ce projet.
Les habitans et negocians de Beziers, Agde et les deputés de la chambre de Montpellier s'opposerent à ce projet et les deputés de la chambre de commerce de Toulouze ne l'approuverent qu'au cas qu'on ne prit pas dans le Canal Royal les eaux necessaires pour le Canal de jonction, attendu disoient ils, que comme les commercans s'apperçoivent que dans le mois de juillet et août la navigation du Canal est interrompue par l'insuffisance de l'eau, il seroit bien plus à propos de procurer une plus grande abondance d'eau que d'en construire des nouveaux à ses depens, n'etant pas juste de porter le moindre prejudice à la navigation du Canal Royal qui procure un avantage inestimable aux provinces de Guienne et de Languedoc et à tout le commerce. L'on rendit compte aux Etâts suivants du contenu de ces differents memoires et par deliberation du 11 juin 1737, il fut deliberé de supplier Sa Majesté de renvoyer à M. de Bernage toutes les contestations formées ou à former à l'occasion de ce projet, pour etre par luy procedé à l'instruction de l'utilité et des inconvenients d'iceluy, sur les dires et memoires des parties pour le tout raporté aux Etâts suivants etre deliberé ce qui conviendroit à l'avantage de la province. Il fut rendu en consequence le 17 janvier un arret du conseil entierement conforme aux veues des Etâts et en execution d'iceluy toutes les parties y enoncées ou autres interessées à l'ouvrage en question eurent ordre de remettre les dires et memoires, et on fit de plus publier et afficher dans les principales villes des senechaussées de Carcassonne, Toulouze et Beaucaire.
Sur les raisons respectivement alleguées par les parties villes et chambre du commerce, les Etâts delibererent le 28 novembre 1737 qu'avant qu'on peut rien determiner sur le projet de la ville de Narbonne, il seroit procedé à la verification par elle demandée, les parties interessées duement apellées et le 28 septembre 1738 M. l'Intendant commit le Sieur Thiery ingenieur en chef à Perpignan pour proceder sur les lieux à l'examen et verification des inconveniens proposés par quelqu'une partie contre le projet dont il est question, pour constater precisement si les eaux qui fournissent à la navigation du Canal Royal peuvent suffire pour fournir à celle du Canal de jonction de la Robine de Narbonne sans que la navigation dud. Canal Royal puisse en souffrir aucun domage ni interruption et si en cas d'insuffisance des eaux qui servent à la navigation dud. Canal Royal, celles qu'il seroit necessaire d'en tirer pour rendre le Canal de jonction navigable peuvent y etre remplacées avec assés d'abondance, de façon qu'il n'en resulte aucun inconvenient prejudiciable au Canal Royal ou aux autres parties interessées, entendre sur ce contradictoirement les dires et requisitions des parties, en dresser un proces verbal et donner sur le tout son avis.
Cette ordonnance fut signifiée aux proprietaires du Canal Royal, à plusieurs villes et députés des chambres de commerce de la province et en execution d'icelle M. de Thiery commença de travailler au fait de sa commission le 27 ôctobre 1738 M. de Bonrepos un des proprietaires du Canal Royal et les deputés de la ville de Narbonne se presenterent et M. de Clapiez directeur des travaux publics de la province fut nommé par M. l'archeveque de Narbonne pour assister à cette verification en qualité de Sindic General de la Province attendu que MM. les Sindics etoient occupés ailleurs. Il paroit que M. Thiery se proposa d'examiner dans cette verification si les eaux du Canal Royal etoient suffisantes pour fournir tout le cours de l'année à la navigation du Canal Royal et du nouveau Canal de jonction, si par la qualité du terrain dans lequel on devoit excaver le nouveau Canal l'on pouvoit connoitre s'il y auroit des filtrations considerables et capables de diminuer notablement le volume d'eau qu'il faudroit y introduire pour la navigation et si, dans le cas ou les eaux du Canal Royal ne seroient pas suffisantes pour fournir à celuy de la robine, l'on pourroit en introduire d'ailleurs dans le Canal Royal en assés grande quantité pour remplacer celles qu'il faudroit en faire sortir pour la navigation du Canal de jonction. M. Thiery fit à ce sujet divers examens et verifications, la plupart en presence de M. de Bonrepos et des deputés de la ville de Narbonne, qui firent chacun en droit soy bien des requisitions et representations et M. de Thiery termina enfin sa verification et donna son avis en disant que la saison pluvieuse et trop avancée ne luy avoit pas permis en aucune façon de decider si les sources et rivieres qui fournissent des eaux du Canal Royal pourroient luy en fournir de superflues pendant les têms les plus secs de l'année, suffisantes pour la navigation du nouveau Canal, qu'il ne croit pas cependant necessaire de faire une nouvelle verification l'été pour mesurer les eaux de la riviere qui fournissent à la navigation du Canal Royal et voir par la si les eaux peuvent fournir en même têms à celles du Canal projetté. Une verification faite en ce sens, âjoute ce Commissaire, ne pourroit etre utile que suposé qu'il n'y eut point ou pas d'eau superflue au Canal Royal ou au contraire qu'il y en eut une tres grande quantité. Celuy qui seroit chargé dans l'une ou l'autre de ces circontances d'une pareille verification, ne pouvant mesurer avec la derniere exactitude les eaux que les rivieres pourront fournir, ny faire des estimations entierement justes de la quantité d'eau qui se perdroit par les joints des portes des ecluses et les filtrations qu'une infinité de causes peuvent faire varier, apres avoir pris des peines infinies, ce verificateur demeureroit dans le doute et suspendroit son jugement.
M. Thiery continue en disant : ces raisons nous auroient fait croire apres y avoir murement pensé qu'il faloit avoir recours à une autre espece de verification, etant assuré comme nous l'avons cy dessus fait entendre que l'on pourroit à certaines conditions remplacer à Trebes ou à Carcassonne par la riviere d'Aude les eaux que l'on prendroit au Canal Royal pour la navigation de celuy projetté. Notre avis est que l'on construise led. Canal projetté si des raisons de politique ou de commerce qui ne sont pas de notre ressort ne s'y opposent.
Ce Canal se trouvant dans un état de perfection, dans les têms de l'année ou il y auroit evidemment des eaux superflues au Canal Royal on pourroit les employer à celuy de Narbonne.
Les têms les plus secs de l'année ayant succedé à ceux qui ne le sont pas, il faudroit alors prendre des mesures pour que toutes les eaux qui seroient superflues au Canal Royal ou que les proprietaires negligeroient d'y introduire fussent infailliblement tournées au profit du Canal de Narbonne.
S'il paroissoit apres plusieurs experiences et apres que les terriers avoient été abbreuvés pendant un certain têms que ces eaux ne fussent pas suffisantes et que les filtrations qui se feroient dans le terrain ou à travers les joints des portes puissent nuire au Canal Royal, on masqueroit avec soin la premiere ecluse du nouveau Canal.
Alors on verroit si la petite riviere d'Argentdouble et les fontaines qui sont dans les campagnes voisines de la Redorte pourroient fournir un supplement d'eau suffisant, si on avoit lieu de l'esperer on pourroit creuser en peu de têms et à peû de frais une rigole convenable pour ramasser toutes les eaux et les conduire dans le Canal des Deux Mers au dessoûs de l'ecluse de Jouarre, en ouvrant ensuite de nouveau le Canal de Narbonne on experimenteroit si on luy auroit procuré des eaux sufisantes.
Enfin si cela ne suffisoit pas on iroit prendre à Trebes ou à Carcassonne ou en quelqu'autre endroit toutes les eaux de la riviere d'Aude jugées necessaires au Canal Royal pour y remplacer abondamment celles qu'il fourniroit au Canal projetté ; il nous paroit que notre avis etant executé, les proprietaires du Canal Royal ne pourront craindre que l'on usat de meprise et que l'on regardat comme superflues au Canal Royal des eaux qui luy seroient necessaires, et d'un autre côté la ville de Narbonne ne pourroit se plaindre si on la contraignoit d'aller chercher des eaux de remplacement dans la riviere d'Aude ou ailleurs, qu'on l'eut obligée de fournir au même Canal des eaux inutiles et dont il auroit pû se passer. Il est vrai que la navigation du Canal projetté pourroit etre suspendue pendant un certain têms depuis la construction dud. Canal, mais pour diminuer cet inconvenient on pourroit etablir un reglement sur le têms ou ce Canal pourroit prendre des eaux dans celuy des deux mers sans porter prejudice aux proprietaires de ce dernier.
MM. les proprietaires du Canal Royal et M. de Crillon pretendant l'un et l'autre se prevaloir du proces verbal de cet ingenieur, l'objet de sa commission, dit ce dernier, etoit de decider si le Canal de jonction etoit possible sans prejudice au Canal de navigation, il conclut affirmativement et marque en même têms les operations qui doivent etre faites pour l'execution du projet. Mais plus la conclusion de M. Thiery est affirmative, disent les proprietaires, plus on est en droit de la combatre par les aveux qui la précèdent, par les operations enoncées dans le proces verbal et par le peu de conformité qui se trouve entre lequel decide et ce surquoy il devoit donner son âvis suivant l'ordonnance de M. de Bernage qui l'avoit commis, cet ingenieur convient dès le commencement de sa conclusion que la saison n'etoit pas favorable pour verifier si les eaux qui entroient dans le Canal Royal ou celles qui pourroient s'y perdre par un defaut d'entretien etoient suffisantes pour fournir dans tous les têms de l'année au Canal Royal et à celuy de jonction.
Il reconnoit que selon la differente qualité de terrain dans lequel le nouveau Canal sera excavé, il peut y avoir plus ou moins de filtrations. Ces filtrations peuvent continuer pendant plus ou moins d'années, mais il ne dit rien de positif à ce sujet, il ne parle que par conjectures, il fournit des sujets de doute et d'incertitude et il est même surprenant qu'apres avoir fait faire divers trous dans une partie du chemin que doit suivre le nouveau Canal il n'aye pas fait creuser ces trous jusqu'à la baze et qu'il presume que lorsqu'on creusera plus bas on y trouvera un terrain plus solide. D'ailleurs, ajoutent les proprietaires, peut on assurer qu'il resulte du raport de M. Thiery que le nouveau Canal ne portera jamais aucun prejudice au Canal Royal tandis que les operations indiquées par cet ingenieur supposent une parfaite correspondance entre les proprietaires des deux Canaux. Si les differentes operations qu'il indique dans tous les cas qu'il prevoit avoient lieu, ne seroient elles pas une source continuelle de discorde et de proces entre les deux proprietaires ? Dans combien d'occasions ceux du Canal Royal se croiroient en droit de refuser des eaux à celuy du Canal de jonction soûs pretexte qu'il n'en auroit que pour entretenir la navigation du sien, combien de fois le proprietaire du Canal de jonction se croiroit autorisé à se plaindre que les eaux manquent à son Canal par la negligence avec laquelle les proprietaires du Canal Royal laissent perdre une partie de leurs eaux ? Ces contestations bien ou mal fondées ne troubleroient elles pas la navigation, puisqu'en permettant le Canal de jonction le Roy a toujours eû en vue que cet ouvrage ne portat aucun prejudice au Canal Royal ? Resulte-t-il du proces verbal de M. Thiery que la navigation du Canal Royal ne recevra aucun prejudice de la construction du nouveau Canal ? M. Thiery semble proposer plutôt un essay sur l'execution du projet que decider affirmativement que le Canal Royal ne souffrira rien de son execution. L'on ignore si ce furent ces reflexions ou d'autres raisons qui ne sont pas parvenues jusqu'à nous qui empecherent la ville de Narbonne de faire usage de ce proces verbal.
Mais peu de têms apres M. de Beauveau Archeveque de Narbonne pria M. de La Blottiere directeur des fortifications en Languedoc et M. de Guilleminet greffier des Etâts de vouloir assister aux operations qu'il avoit chargé M. de Clapiés directeur des travaux de la Province pour trouver les moyens possibles de remplacer dans le Canal Royal les eaux dont on pourra avoir besoin pour fournir à la navigation du Canal de la ville de Narbonne, desquelles operations M. l'archeveque de Narbonne dit qu'il a été verbalement convenu en sa presence entre M. de Caraman et les deputés de la ville de Narbonne, ayant prevenu à ce sujet M. le Marechal d'Asfeld, la lettre est du 23 juillet 1739. En consequence de cette lettre M. de Clapies proceda au fait de sa commission en presence de MM. de La Blotiere et de Guilleminet, et il resulte de son proces verbal que la riviere d'Argendouble peut etre conduite facilement dans le Grand Canal, qu'on peut y joindre trois fontaines qui sont entre le cabaret de la Redorte et l'ecluse de Jouare, et celle de la riviere et ces trois fontaines peuvent fournir de l'eau pour la navigation du Canal de Narbonne. Ce proces verbal n'est pas avoué par les proprietaires du Canal. Ils n'y ont été presents ny assignés. Nous ne pouvons cependant nous empecher d'observer qu'il paroit surprenant que quelques mois apres le proces verbal de M. Thiery, qui decidoit si favorablement pour le Canal projetté, M. l'archeveque de Narbonne en eut fait faire un autre d'office et que M. de Clapiés sans recourir aux eaux de la riviere d'Aude et sans faire aucune comparaison entre les eaux necessaires pour abbreuver le nouveau Canal sans prejudicier à celuy des deux mers, aye decidé que la riviere d'Argendouble pourroit remplacer dans le Canal Royal les eaux que l'on y prendroit pour le Canal de jonction et qu'il n'aye pas crû necessaire de verifier si dans le têms de secheresse les eaux de cette riviere diminuoient considerablement ou si elles se soutenoient dans le même etât. La mort de M. de Beauveau suivit de près les operations de M. de Clapiés, elles furent oubliées ou au moins negligées pendant l'episcopat de M. de Crillon et ce n'a été qu'apres sa mort que la ville de Narbonne toujours occupée du Canal de jonction qu'elle regarde comme son unique ressource pour se relever de ses pertes et à quoy elle n'a pas le moyen de travailler a cédé à M. le Marquis de Crillon tous les droits qui luy sont attribués par l'arret du Conseil de 1686 pour la construction de ce Canal. Cette cession a été autorisée par un arret du Conseil du 27 avril 1751 qui commet M. l'Intendant à l'effet d'entendre les parties denommées en iceluy et autres interessés, dresser le proces verbal tant de leurs dires et requisitions que de l'etât des lieux et pour faire faire par tels ingenieurs ou experts qu'il commetra les plans, devis et verifications, prendre tous les eclaircissements necessaires pour le tout etre envoyé au Conseil avec son avis, etre ordonné ce qu'il appartiendra.
En execution de cet arret M. l'Intendant ordonna qu'il seroit signifié aux proprietaires du Canal et autres parties interessées et apres avoir accordé auxdits proprietaires un delay de plusieurs mois, il commit par son ordonnance du 19 juillet 1752 M. Dasté l'ainé ingenieur des ville et forts de Cette pour en presence du Sindic General de la Province et de toutes les parties interessées, proceder sur les lieux le 5 août et jours suivants à l'examen et verification du Canal de communication de la robine de Narbonne à celuy des deux mers, à l'effet de constater precisement si les eaux qui fournissent à la navigation du Canal Royal peuvent suffire à celles du Canal de jonction sans que la navigation du Canal Royal puisse en souffrir aucun domage ni interruption, et si en cas d'insuffisance desd. eaux qui servent actuellement à la navigation dud. Canal Royal, celles qu'il seroit necessaires d'en tirer pour rendre le Canal de jonction navigable peuvent y etre remplacées avec assés d'abondance par quelques moyens desquels il ne resulte aucun inconvenient prejudiciable à la navigation dud. Canal Royal ou autres parties interessées.
M. Dasté proceda à la verification ordonnée en presence de M. de La Fage Sindic de la Province, des deputés de la ville et des marchands de Narbonne, personne n'y parut de la part de MM. les proprietaires du Canal Royal et ce ne fut que quelques jours apres l'operation commencée que les deputés d'Agde et de Beziers y comparurent, il resulte du proces verbal de M. Dasté qu'il se perd une assés grande quantité d'eau dans le Canal Royal par le defaut d'entretien ou parce qu'on en donne aux proprietaires riverains pour les arrosages de leurs fonds surtout à la chaussée de la Roupille ; qu'à la verité on ne scauroit assurer que le volume d'eau s'il etoit ramassé et conservé avec soin pût suffire pour entretenir la navigation du grand Canal et de celuy de jonction ; mais qu'il etoit aisé de conduire dans le Canal Royal les eaux de la riviere d'Argendouble, celles du ruisseau de Riversel et qui, conduites par une même rigole dans le Canal Royal, fourniroient plus que du double des eaux necessaires pour la navigation des deux Canaux.
A cette operation M. l'Intendant crut devoir joindre de plus grands eclaircissements pris en secret et il commit à cet effet le S[r] Danisy pour examiner l'etât du reservoir de S(ain)t Ferreol, des rivieres de Fresquel, Orbiel, Cesse et Argentdouble pour s'assurer si les eaux du reservoir pouvoient seules suffire à la navigation de la grande retenue et si celles desd. rivieres avoient manqué pendant la secheresse, si elles avoient été retenues dans leur cours ou consommées avant d'arriver à lad. grande retenue, il resulte de cette verification commencée le 20 novembre 1752 que la riviere d'Orbiel fournit au Canal deux mille trois cent trente sept toises cubes d'eau dans les 24 heures, que le Fresquel peut en fournir environ deux mille six cent soixante douze, celle de Cesse pres de vingt mille toises et que les eaux desd. rivieres avoient plus contribué à la navigation pendant la secheresse que les eaux des reservoirs de S(ain)t Ferreol.
Il âjoute que la riviere d'Argentdouble a toujours été à sec dans les mois precedents, mais qu'il a apris du S[r] Roger qui a sur cette riviere le premier moulin peut travailler dans tous les têms et malgré la secheresse à la faveur des eaux d'une fontaine intercalaire qui donne abondamment et regulierement de l'eau chaque jour pour faire moudre 10 sestiers de bled, et que quoiqu'il n'ait qu'une meule, l'eau est assés abondante pour en faire aller deux, et sur ce qu'il temoigna au S[r] Roger la surprise de ce que l'eau de son moulin n'alloit pas dans l'acqueduc par ou passent celles d'Argentdouble quand elles coulent, led. Roger repondit qu'il se servoit de ces eaux pour arroser les prairies et qu'il aimoit mieux les laisser perdre entierement que de les laisser aller aux moulins inferieurs, pour s'assurer plus de pratiques et sur l'assertion du S[r] Roger, M. Danisy conclut que les eaux de cette fontaine pourroient fournir 6666 toises cubes d'eau si cette fontaine intercalaire peut faire aller tous les jours deux meules qui fassent moudre 20 sestiers de bled.
Ce raport contient plusieurs autres observations sur les filtrations et pertes d'eau du Canal relatives aux observations des Sieurs Thiery et Dasté. Pendant que M. l'Intendant prenoit tous ces eclaircissements, les parties interessées n'ont rien negligé pour soutenir leurs opinions, M. de Caraman a remis divers certificats des administrateurs de huit ou dix communautés, desquels il resulte que le Canal manquoit et que les rivieres dont on venoit de prendre pour y suppléer avoient été elles mêmes presque à sec.
M. de Crillon a raporté de son côté d'autres deliberations ou certificats des villes de Castelnaudarry, Villefranche, Lunel, Uzes et Montpellier en faveur de la construction du Canal, et comme la ville de Montpellier s'y etoit precedemment opposée elle rend compte des motifs de son changement sur la connoissance qu'elle a eû des faits et des operations qu'elle ignoroit.
A ces temoignages en faveur de l'utilité et de la necessité du Canal de Narbonne, M. de Crillon a joint ceux des manufactures royales, des echevins et deputés de la chambre de commerce de Marseille, du bureau de la draperie de Carcassonne, des negociants de Perpignan, de S[ain]t Chinian, de S[ain]t Pons, de Narbonne, de l'entrepreneur general des vivres pour les troupes du Roy dans le Roussillon et de la chambre de commerce de Montpellier qui revoque l'avis contraire qu'elle avoit donné en 1737.
Enfin la chambre de commerce de Toulouze approuve aussi le nouveau Canal pourvû qu'il ne nuise pas à celuy des deux mers en suspendant son jugement sur ce dernier fait jusqu'apres les verifications.
A ces preuves respectives, les parties ont âjouté diverses ecritures, memoires ou observations dont les principales ont été distribuées à tous les membres des Etâts et dont nous ferons cependant l'analise en reportant les principales raisons des opposants et des adherants au projet sur les deux questions dont l'examen doit operer la decision de cette grande contestation, la premiere est de sçavoir si la jonction du Canal projetté est possible sans nuire au Canal Royal, la seconde si quand même elle seroit possible elle ne seroit pas inutile et même prejudiciable au commerce.
Sur la premiere question M. de Caraman soutient que l'arret de 1686 rendu à la requete de la ville de Narbonne a été rendu sans que luy ni les villes de Languedoc ayent été apellées ; que l'inexecution des ouvrages commencés à ce sujet à grands frais et discontinués pendant plus de quarante ans prouvent ce que l'on dit par tradition que M. de Riquet qui avoit dressé luy même le devis de cet ouvrage apres l'avoir examiné de plus prés l'avoit reconnu impossible, que M. de Vauban en avoit porté le même jugement et que si l'on n'en avoit pas été persuadé et reconnu les inconveniens insurmontables de ce projet M. le Cardinal de Bonsy, M. de La Berchere n'auroient pas refusé leur credit à la ville de Narbonne pour la mettre en etât de l'achever, que ce ne fut que dans les dernieres années de la vie de M. de Beauveau, que ce Prelat se donna quelque mouvement pour faire valoir ce projet, et que M. de Crillon son sucesseur ne jugea jamais à propos de le faire valoir. Il soutient que la verification de M. Thiery, la seule qui a été faite avec plus d'attention et en presence des parties interessées ne presente que des presomptions, des incertitudes et propose plutôt des essais à faire qu'il ne determine des operations sur lesquelles il y ait lieu de compter, et qu'il fournit luy même une raison decisive pour rejetter sa verification en avouant qu'il a operé dans une saison peu favorable pour constater les faits qu'il etoit chargé d'eclaircir, ce qui l'a mis hors d'etât de prendre à ce sujet les connoissances necessaires.
M. de Caraman âjoute enfin que la verification du S[r]Dasté a été faite legerement et à la hate, qu'il n'a pas eû le têms de s'y trouver à cause du court intervalle qu'il y a eû entre le jour de l'assignation et celui ou le S[r] Dasté a commencé ses operations, qu'il pretend egalement insuffisante pour l'eclaircissement des faits que cet ingenieur etoit chargé de verifier. Ce proprietaire du Canal entre ensuite dans le detail des raisons sur lesquelles il etablit qu'il n'est pas possible de faire le nouveau Canal sans nuire au Canal Royal, il assure que lorsqu'il survient des secheresses le Canal n'a d'autres ressources pour la navigation que les eaux du reservoir de S(ain)t Ferreol, qu'ells suffisent à peine pour le service du public en les menageant avec de grandes precautions, qu'il est de notorieté publique que les rivieres ou ruisseaux qui fournissent l'eau du Canal sont à sec pendant trois ou quatre mois de l'année, que dans de pareilles circonstances, il est evident que la navigation du Grand Canal seroit perdue si on otoit la moindre partie de l'eau qui y coule et qu'il resulte de toutes les verifications et les aveux de M. de Crillon que l'on ne scauroit prendre des eaux du Canal Royal pour fournir à celuy de Narbonne sans les remplacer en y introduisant des eaux etrangeres. Que c'est mal à propos que M. de Crillon luy reproche de laisser perdre des eaux considerablement par le defaut d'entretient du Grand Canal et surtout par la mauvaise construction de la chaussée de la Roupille, qu'il s'en raporte au temoignage rendu par M. de Thorofe ingenieur du Roy en 1738. Par le proces verbal que dresse chaque année sur l'etât du Canal M. Pitôt directeur des travaux de la Province et par ce qui resulte du proces verbal de M. d'Aguessau au sujet de la chaussée de la Roupille, de l'augmentation du volume d'eau du bassin de S(ain)t Ferreol , des frais immences que l'on a fait pour ramasser l'eau des rivieres d'Alzau, Lampi et Bernasolle et de la necessité ou l'on a été de construire la chaussée de la Roupille en clayonnage apres que celle qui avoit été faite en pierre de taille a été emportée pendant deux fois, qu'en effet le S[r] de Clapiés en convenant en 1724 qu'il etoit possible de prendre les eaux de la riviere d'Aude reconnut en même têms les obstacles que ce moyen rencontroit, tels que sont ceux de pouvoir etablir solidement une chaussée dans cette riviere si sujette aux plus grandes inondations, le danger ou se trouveroit un des fauxbourgs de Carcassonne par le rehaussement des eaux qu'occasionneroit cette chaussée, les risques de l'ensablement du Canal causé par des eaux toujours troubles de cette riviere, inconvenients qui obligerent de changer la route du Canal lors de sa construction pour eviter des eaux aussi dangereuses, qu'inutilement M. de Crillon propose de garantir le Canal Royal des ravages de la riviere d'Aude en offrant les eaux de la riviere d'Argentdouble qui ont fait le principal objet de la verification des S[rs] Clapiés et Dasté puisque ce torrent dangereux lors de ses crues est à sec une partie de l'année, mais que quand même cette riviere et d'autres ruisseaux ou fontaines pourroient fournir une quantité d'eau equivalente à celle que consommeroit le Canal de Narbonne, il pourroit y avoir des circonstances ou la navigation du Canal Royal n'en seroit pas moins interrompue, lors par exemple d'un grand passage ou les eaux de remplacement n'equivalent pas à la depense, il faudroit que celles du reservoir de S(ain)t Ferreol fussent plutôt epuisées ; qu'à ces difficultés se joignent celles
1- de l'impossibilité de creuser un Canal solide dans un terrain graveleux ou les eaux se perdroient par des filtrations continuelles, qu'en vain M. de Crillon dit que dans la suite des têms les depôts des limons rendroient son Canal etanche, puisqu'avant que cela n'arrivat, la navigation du Grand Canal et consequemment du public auroient souffert des pertes irreparables.
2- qu'il surviendroit sans cesse des contestations entre les deux proprietaires des Canaux à la moindre interruption de la navigation dans l'un ou dans l'autre, et que ce seroit autant de procès pour determiner quel des proprietaires en seroit la cause.
3- qu'il y auroit de l'injustice de prendre malgré les proprietaires du Grand Canal une partie des eaux qui font leur patrimoine et de diminuer les droits qu'ils perçoivent sur toute l'etendue de leur Canal et qui servent à son entretien en les partageant avec M. de Crillon, qui ne peut se faire par la un revenu qu'aux depens de celuy des proprietaires ; que ce revenu leur ayant été accordé à la charge de tous les ouvrages et reparations necessaires pour l'entretien du Canal Royal depuis la Garonne jusqu'à Agde, ils auroient toujours les mêmes charges et ne percevroient pas les mêmes droits, ce qui les engageroit peut etre à negliger l'entretien du Canal depuis le Sommail jusqu'à Agde et causeroit un grand prejudice au public, d'ou il resulte que le Canal de jonction doit etre regardé comme impossible parce qu'il ne peut se faire sans nuire à la navigation du Canal Royal.
Apres avoir etabli que le Canal de jonction est impossible, M. de Caraman pretend aussi clairement qu'il est inutile
1- Ce nouveau Canal qui aboutit au Grau de la Nouvelle ne presente point un debouché facile, ni avantage réel à quelques branches du commerce. Les batiments ne peuvent entrer et sortir que tres difficilement du Grau de la Nouvelle, ils essuyent souvent des grands retardements à la rade, la profondeur de ce port n'est pas suffisante pour y recevoir des batiments qui ont une cargaison un peu forte, il n'y a ny magazin, ni aucunne des commodités necessaires pour le commerce, et il est aussi court de passer par Agde ou par Cette quelque soit la destination des marchandises.
Nul avantage pour le commerce, soit de l'interieur de la Province ou du dehors, et si la multiplication des Canaux est regardée en soy comme âvantageuse au commerce, cette consideration n'a lieu que lorsqu'en multipliant la communication on peut attirer des marchandises du pais etranger d'ou on ne les recevoit pas auparavant ou qu'on en facilite le transport dans le pais ou elles n'abordoient pas. Mais le Canal de jonction ne conduira au port de la Nouvelle ou n'en fera sortir que les mêmes marchandises ou les mêmes denrées qui passent à present par Agde ou par Cette allant de Marseille à Bordeaux ou venant de Bordeaux à Marseille. La ville de Narbonne qui paroit avoir le principal interet à ce Canal n'en recevra jamais un grand avantage. Les productions de son terroir ne sont pas assés considerables pour etre portées à l'etranger, et le commerce des bleds qui est le seul qui se fait dans cette ville n'a pas besoin d'un nouveau Canal pour se soutenir ; l'on dit que ce nouveau Canal pourra faciliter le commerce avec l'Espagne, mais il ne vient de ce côté la que des laines et des matieres propres pour la fabrication des savons, ces sortes de marchandises seront debarquées plutôt à Cette, à Agde qu'à la Nouvelle, parce que la plus grande consommation de laine se fait à Clermont, Lodeve, S(ain)t Pons, S(ain)t Chinian, dont on sera plus à portée à Agde et à Cette. Il en est de même des matieres propres à la fabrication des savons dont on n'a pas besoin dans les villes qui sont au dessus du Sommail.
Surquoy l'on âjoute que le seul avantage que pourroient trouver les commerçans dans le port de la Nouvelle se reduiroit à epargner quelques frais de nolis et quelques lieues de chemin suivant la route de leur direction, ce qui ne devroit pas l'emporter sur ce que les villes de Cette et d'Agde pourroient souffrir de ce nouveau debouché s'il etoit trop frequenté, l'attention que la Province a toujours eue et tous les frais qu'elle a fait pour rendre le commerce de Cette florissant et le favoriser en toute occasion ne permettent pas aux Etâts de consentir à un ouvrage qui nuiroit beaucoup à ce port de mer si le succés du Canal de jonction repondoit aux vues et aux esperances de M. de Crillon.
Mais, dit ce dernier, ne doit on pas convenir au moins que le Canal de jonction entretiendra la navigation continuelle du Canal Royal dans les têms que les inondations de la riviere d'Orb qui sont si frequentes l'interrompent pendant plusieurs jours du côté de Beziers, le Canal de jonction sera à couvert de toutes les inondations, et il n'y aura point de têms dans l'année ou les barques qui partiront pour Toulouze ou pour Marseille n'arrivent à leur destination sans souffrir aucun retardement. Les proprietaires du Canal conviennent que les inondations de la riviere d'Orb retardent quelques fois la navigation, mais ils assurent qu'il est rare qu'elles soient assés considerables pour la retarder pendant longtêms ; que la diligence dont on use dans ce cas retablit ordinairement la navigation dans deux ou trois jours, et que l'experience que l'on a des frequents debordements de la riviere d'Aude ou le Canal de jonction doit passer ne doit pas moins faire craindre l'interruption de la navigation de ce côté la.
C'est sur toutes ces raisons que M. de Caraman pretend etablir que le Canal de jonction est impossible sans nuire au Canal de navigation et en même têms inutile.
M. de Crillon soutient au contraire qu'il en resultera une grande utilité pour l'Etât, pour la Province et même pour les proprietaires du Canal mais avant que d'entreprendre cette preuve, il refute les moyens des opposants contre les operations des faits contestés, il dit que l'opposition à l'arret de 1686 n'est point admissible parce que c'est un arret de pur mouvement, que le silence que les proprietaires du Canal ont gardé pendant si longtêms ne peut etre regardé que comme un acquiescement tacite de leur part, que ce projet n'a jamais été perdu de vue ; qu'il n'a été que suspendu et que la prescription n'a jamais lieu lorsqu'il s'agit du bien public ; que les differentes verifications qui ont été faites prouvent de la maniere la plus autentique la possibilité du projet, et que tout ce que les opposans relevent, soit sur le manque de forme ou sur la suspection des Commissaires ne scauroit detruire les eclaircissements qui resultent de ces operations, lesquelles ayant été faites dans differents têms de l'année, les unes dans l'été, les autres dans l'hiver, celles la lors de la plus grande secheresse et celles cy apres des pluyes abondantes, il ne peut rester aucun doute sur ce qu'il en resulte.
M. de Crillon soutient avec les habitans de Narbonne que M. de Riquet qui avoit dressé le devis de ce Canal n'a jamais changé d'avis sur la possibilité et que l'inaction ou l'on a resté apres avoir fait une partie de l'ouvrage n'a eû d'autre cause que l'impuissance ou s'est trouvée la ville de Narbonne de le continuer ; qu'en vain les proprietaires du Canal Royal s'efforcent de dire qu'il manque de l'eau au Canal et qu'il n'est possible ny de luy en prendre, ny de luy en remplacer, que si cette premiere proposition etoit vraye, ils devoient s'imputer ce defaut à eux mêmes par la negligence à l'entretien et à conserver les eaux. Que ce ne sont pas les raisonnements qui doivent decider sur un pareil fait, mais l'experience et l'avis des gens de l'art qui ont été commis pour le verifier et que c'est la qu'il faut chercher la verité des faits en question.
Qu'il resulte des verifications que c'est par le defaut d'entretien qu'il se perd une partie des eaux du Canal et que les inconvenients relevés contre l'introduction des eaux etrangeres sont chimeriques, que bien loin que les deux Canaux ne nuisent l'un à l'autre ils s'aideront mutuellement, qu'il est aisé de trouver des moyens efficaces pour eviter les discutions que l'on craint entre les differents proprietaires, que c'est au contraire de leur attention respective qu'il resultera le bon entretien des deux Canaux ; que la diminution des revenus du Canal Royal ne doit pas prevaloir contre l'interet public qui reclame le Canal de jonction et que cette diminution ne scaurait servir de pretexte aux proprietaires du Canal Royal pour en negliger l'entretien jusqu'à Agde, ils y sont obligés et s'ils etoient capables de manquer à cette obligation, la Province ne manqueroit pas de moyens pour la leur faire remplir. M. de Crillon ne parle pas avec moins d'assurance sur l'utilité de son Canal par raport à l'Etât, à la Province et aux proprietaires du Canal Royal, il fait valoir la maxime generale que la multiplicité des Canaux et des debouchés est toujours avantageuse à un pais, il prouve les avantages qu'en retirera l'Etât par la facilité du transport des munitions de guerre et de bouche en Catalogne et en Espagne en têms de guerre, par l'epargne sur les frais des voittures de sel et en prevenant les dangers de faussonage dans les versements. Les bestiaux qui sont occupés aujourd'huy à transporter les marchandises par terre du Gaillousti au Sommail ne seront plus occupés qu'à la culture des terres. Le commerce en general profitera de la diminution des frais des voittures, les marchandises arriveront par une route plus courte et qui ne sera jamais interrompue et les proprietaires du Canal percevront plus de droits lorsque les barques qui n'auront pu prendre leur route par le Grand Canal à cause des inondations de la riviere d'Orb les percevront sur ces mêmes barques qui auront la facilité de continuer leur route par le nouveau Canal et profiteront en même têms d'une partie des cargaisons des barques venant du Roussillon, qui n'ayant pû les vendre à Narbonne en porteront l'excedent dans le haut Languedoc par le Grand Canal. M. de Crillon refute ensuite tous les inconvenients qu'on luy oppose sur le Grau de la Nouvelle, il soutient qu'il y a une profondeur d'eau suffisante pour les barques du Canal et fait valoir pour l'appuy de son droit les vüs du plus grand nombre des villes qui ont été consultées et qui doivent l'emporter sur tout le raisonnement d'un particulier qui ne consulte que ses propres interets, d'ou M. de Crillon conclut que puisque le Canal de jonction peut se faire sans nuire à la navigation du Canal Royal, qu'il en resultera un avantage sensible pour le commerce en general, pour la Province et surtout pour la ville de Narbonne, il espere que les Etâts voudront bien donner leur consentement à un ouvrage autorizé et commencé depuis longtêms et qu'il est moins question d'entreprendre que de perfectionner.
La commission apres avoir entendu la lecture des memoires et observations des parties, les procès verbaux des ingenieurs et fait une serieuse attention sur l'importance de cette affaire et la part que les Etâts doivent prendre à la demande de M. le Marquis de Crillon ou aux ôppositions qu'y forment MM. les proprietaires du Canal a reconnu que quoique la multiplicité des Canaux qui fournissent habituellement plus de debouchés à un pais paroissent toujours utilles, cette utilité ne merite quelque attention que losque ces debouchés attirent dans un pais plus de marchandises et de denrées qu'il n'en recevoit auparavant ou fournissent plus de moyens de faire repasser à l'etranger celles dont on ne trouve pas la consommation dans le pais, surtout si en multipliant les Canaux sans derrenger un commerce essentiel. Sur ce principe la commission ne trouve qu'un tres mediocre âvantage pour le commerce dans l'execution du Canal proposé, etant certain qu'on ne portera au Grau de la Nouvelle que les marchandises et les denrées que l'on envoye par le Canal Royal et qui prennent aujourd'huy la roûte d'Agde ou de Cette. Les laines et les matieres pour le savon qui viennent d'Espagne ne forment qu'un tres petit objet et la plus grande partie est destinée pour des endroits plus à portée d'Agde et de Cette que de la Nouvelle. La commission a été faiblement touchée des raisons que l'on fait valoir touchant les profits que fairoient les negociants en prenant une roûte plus courte et epargnant les frais de nolis, la distance etant si petite de Cette à Agde au Grau de la Nouvelle que quelques lieues de plus ou de moins par eau ne scauroient etre regardées comme un objet interessant, soit par raport au trajet, soit par raport aux frais de nolis et pour peû que cette pretendue utilité se trouve balancée par des inconvenients un peu considerables, il ne convient pas d'y avoir egard. Avant que d'entrer dans l'examen de ces inconvenients, la commission a fait quelques reflexions sur les avantages que le nouveau Canal procureroit à la ville de Narbonne et ils luy ont paru tres mediocres, la ville de Narbonne se trouve à trois lieues du Grau de la Nouvelle et par consequent les batiments qui passeroient par le Canal ne s'arreteroient pas à Narbonne et n'en augmenteroient pas le commerce, les productions de son terroir ne sont pas assés abondantes pour avoir besoin d'un nouveau Canal qui les transporte chez l'etranger ; sans ce secours elle pourra continuer son commerce pour les bleds et si elle a des laines et des salicors à debiter, elle peut aisement les faire passer au Canal Royal depuis le Gaillousty jusqu'au Sommail par les charretes, d'ailleurs la Province est une mere commune qui doit pezer les interets de toutes les parties qui la composent, secourir les unes sans prejudicier aux autres et prendre ses arrangements avec assés de sagesse et de precaution que le bien qu'elle fait d'un côté ne produise pas du mal à l'autre, la commission a été persuadée qu'on ne pouvoit seconder les vœux de Narbonne et luy procurer les avantages qu'elle espere de ce nouveau Canal sans prejudicier beaucoup aux villes d'Agde, de Beziers et peut etre même de Cette et elle ne pense pas qu'il faille favoriser un projet qui enrichiroit une ville et en appauvriroit trois. La commision ne s'est pas dissimulée qu'il y a des têms ou les inondations de la riviere d'Orb rendent le Canal Royal du côté de Beziers impraticable, que la navigation est pour lors interrompue et que l'on pourroit procurer au Canal Royal une navigation sûre et à couvert de toutes sortes d' obstacles en ouvrant le Canal de jonction par lequel on eviteroit la route de Beziers et les batiments arriveroient à leur destination sans retardement. Il est certain que les ensablements que procure la riviere d'Orb arretent quelques fois la navigation jusqu'à ce que par un travail assidu et extraordinaire on ait retabli le Canal dans son etât ordinaire ; mais il est rare que ces inconvenients ne soient pas reparés dans deux ou trois jours. Le Canal de jonction en essuyeroit de plus grands et de plus frequents par les eaux de la riviere d'Aude dont tous les riverains font une triste experience des pertes que leur cause la crue des eaux et comme les grandes inondations de la riviere d'Orb sont causées par les pluyes longues et abondantes, il y a lieu de presumer que celles de la riviere d'Aude viendroient dans le même têms et la navigation du Canal seroit egalement interrompue de deux côtés, mais quand on supposeroit que le Canal projetté n'est que d'une petite utilité pour la Province en general, pour les negociants et même pour la ville de Narbonne, si ce Canal est possible, s'il n'en resulte aucun inconvenient pour le Canal Royal, s'il doit etre executé aux frais d'un particulier qui veut courir le risque de faire une depense inutile, quelles raisons auroit la Province de l'empecher? C'est cette question qu'a fait le principal objet de travail de la commission et des reflexions qui l'ont determinée à l'avis qu'elle m'a chargé de vous proposer.
Si le Canal projetté n'avoit aucun raport au Canal Royal, s'il ne devoit influer en rien sur ce qui doit le soutenir ou le deranger, les Etâts n'auroient point de deliberation à prendre et ils laisseroient à M. de Crillon la liberté de suivre son projet jusqu'à sa perfection, mais si ce nouvel ouvrage peut porter quelque prejudice au Canal Royal, si ce prejudice paroit sensible aux Etâts, si tous les raisonnements que l'on a fait, toutes les verifications que l'on raporte pour les rassurer, ne dissipent pas les craintes et ne presentent tout au plus que des doutes et des incertitudes, la commission ne pense pas que cette assemblée puisse garder le silence ni se refuser aux mouvements les plus vifs pour qu'on ne donne aucune atteinte à un ouvrage qui a toujours été l'objet de l'attention la plus grande de la part des Etâts et que l'on doit regarder comme le bien le plus solide de cette Province et la ressource la plus sûre de la fortune de ses habitans.
Ce n'est pas l'interet personnel des proprietaires du Canal Royal, ni la perte qu'ils peuvent faire de la perception de leurs droits qui ont frappé la commission, quoiqu'elle pense que ces MM. souffriroient une espece d'injustice si apres avoir receû du feû Roy l'usage du Canal en toute proprieté et à titre incommutable depuis Toulouze jusqu'à Agde avec le droit de percevoir sur toutes les marchandises de montée et de descente qui y passeront le peage reglé par le tarif et à la charge par eux de fournir l'entretien et reparations dud. canal dans toute son etendue, ce seroit dis-je une espece d'injustice de permettre à un etranger de se rendre maitre d'une partie des eaux de ce Canal, de les deriver à son profit et de percevoir sur ces eaux les droits qui auroient apartenu aux proprietaires si elles suivoient leur ancien cours, mais quel prejudice ne souffrira pas le Canal en luy même si on y fait passer les eaux necessaires à sa navigation. Il est de notorieté publique que MM. les proprietaires sont obligés d'avoir une attention continuelle pour se precautioner egalement contre la disette des eaux necessaires à la navigation et leur trop grande abondance qui la derange. Il n'est pas moins certain que malgré leurs precautions et leurs soins il y a certains mois de l'année ou le Canal souffre beaucoup par la disette des eaux et que même la navigation est entierement interrompue et qu'elle ne se soutient dans ce têms la qu'en donnant les eaux qu'avec beaucoup de menagement et d'economie. Il resulte à la verité des verifications des ingenieurs que l'on pourroit mieux menager les eaux du Canal, qu'il s'en perd beaucoup qui serviroient à la navigation si elles etoient retenues et surtout celles de la chaussée de la Roupille, mais peut on imaginer qu'un Canal de cette etendue et si compliqué de differents ouvrages puisse etre construit et entretenu de façon qu'il n'y ait ni filtrations ni transpirations, ni autres pertes d'eau et puisque la chaussée de la Roupille n'a pû etre faite qu'en clayonage apres que celle qui etoit construite en pierre de taille a été emportée pendant deux fois, on doit regarder ces pertes d'eau plutôt comme des deffauts inevitables que comme une faute des proprietaires qui ont d'ailleurs trop d'interet à menager leurs eaux et qui souffrent les premiers de leur penurie pour qu'on leur puisse imputer la perte de celles qu'ils ne retiennent pas ; d'ailleurs si les proprietaires du Canal manquoient d'attention à ce sujet, l'ingenieur du Roy etably sur le Canal et le Sieur Pitôt chargé d'en faire la visite toutes les années seroient en etât de faire reparer les suites de ce defaut d'attention, et M. de Crillon n'est point partie legitime pour les relever.
L'usage des eaux du Canal appartient aux proprietaires à l'exclusion de tout autre, ils doivent les menager de façon que la navigation du Canal Royal n'en souffre pas, c'est la seule charge qui leur est imposée, le Roy, la Province, le public, seroient en droit de se plaindre s'ils negligeoient de s'en acquiter. Mais s'ils la remplissent avec exactitude, l'on n'a rien de plus à exiger d'eux, ils sont à couvert de tout reproche.
Mais quand on suposeroit que ces eaux ne se perdent que par leur defaut d'attention et qu'on les conserveroit soigneusement, elles ne suffiroient pas à beaucoup prés pour fournir suffisament d'eau dans un certain têms de l'année au Canal de jonction, les ingenieurs en conviennent et la commission a reconnû sur ce temoignage que ce seroit un grand inconvenient d'ouvrir un nouveau Canal de navigation et d'y destiner des eaux necessaires pour le Grand Canal.
Il est vray que M. de Crillon offre de donner au Canal Royal des eaux en abondance pour remplacer celles qu'il prendra dans le Canal Royal pour fournir à son Canal de jonction, mais ou prendra-t-il ces eaux de remplacement et seront elles suffisantes pour rendre au Canal Royal toutes celles qui auront passé dans le Canal de jonction? Apres avoir entendu la lecture des procès verbaux de quatre differents ingenieurs qui se sont principalement attachés à reconnoitre et à determiner les eaux de remplacement, la commission n'a trouvé dans aucun des preuves suffisantes de ce qui y est avancé. Le procès verbal de M. Thiery est celuy de tous qui est le plus detaillé, qui a été fait contradictoirement avec toutes les parties et dont les ôperations ont été plus multipliées, mais cet ingenieur detruit la foy qu'on pourroit âjouter à ses operations en disant dès le commencement de son procès verbal que la saison n'etoit pas convenable pour la verification dont il etoit chargé parce que la varieté des saisons et l'inegalité des rivieres dont on voudroit rendre les eaux au Canal Royal empechent qu'on ne puisse evaluer la quantité qu'elles pourroient fournir parce qu'on ne peut pas non plus estimer les pertes infinies qui seroient occasionnées par le terrain graveleux du Canal de jonction, ni par consequent apprecier par une operation juste les eaux que le Canal de jonction tireroit du Grand Canal ni celles qu'on pourroit rendre à celuy cy.
Apres cet aveu que peut on conclure de tout ce que dit M. Thiery dans son procès verbal sur les differentes eaux qu'on pourroit conduire dans le Canal Royal en remplacement de celles pour le Canal de jonction. On en tirera des presomptions et vraisemblances, des doutes et des possibilités, mais sur de tels garants peut on faire une ouverture au Canal Royal pour donner de l'eau au Canal de jonction ? Il est vrai que M. Thiery paroit ne pas douter que l'on puisse introduire dans le Canal Royal des eaux etrangeres pour remplacer celles qu'on en fairoit sortir pour le Canal de jonction ; il indique divers moyens dont on pourroit faire usage, mais bien loin de determiner celui qu'il croit le plus convenable, il pense qu'on doit les employer successivement les unes au deffaut des autres et assujetir par la le Canal Royal à plusieurs ouvertures differentes qui seroient à la disposition de M. le Marquis de Crillon. Il est à observer que M. Thiery est le seul qui ait pensé conduire les eaux de la riviere d'Aude en remplacement, M. de Clapiés, M. Dasté et M. Danezy proposent de se servir de celles de la riviere d'Argentdouble et marquent avec autant de certitude que M. Thiery laissoit de doute dans sa verification, mais les eclaircissements que la commission a pris au sujet de la riviere d'Argentdouble relativement à ce que disent les ingenieurs, ne luy ont pas permis d'adopter leur idée, M. de Clapiés qui verifia l'etât de cette riviere à la fin de juillet 1739 dit qu'elles faisoient aller les moulins de la Redorte et juge que l'eau qui passoit dans ce Canal pouvoit donner environ 1451 toises cubes d'eau dans 24 heures, que cette riviere etoit entierement à sec au-dessus et au-dessoûs du village de la Redorte et qu'à moitié distance entre le village et l'acqueduc d'Argentdouble, elles couloient dans un Canal assés regulier et que ces eaux pouvoient donner environ 971 toises cubes d'eau dans 24 heures. Cet ingenieur ne dit pas si ces eaux se soutiennent dans l'été ou si elles diminuent et si celles qu'il a vû paroitre entre le village de la Redorte et l'acqueduc de la riviere d'Argentdouble est la même que celles qu'il a vû dans le Canal du Moulin ; mais M. de la Redorte qui se trouve ici nous a assuré que son moulin chaume trois ou quatre mois de l'été. On ne sçauroit donc compter sur les 1451 toises cubes d'eau que M. Clapiés a assuré dans le Canal du Moulin, ni sur celles qu'il a vû reparoitre entre le village de la Redorte et l'acqueduc, lesquelles n'etoient vraisemblablement que les mêmes sorties du Canal du Moulin et qui apres s'être enfoncées dans des sousterrains avoient reparu.
M. Dasté s'est beaucoup attaché dans sa verification faite le 22 juillet 1752 aux eaux de la riviere d'Argentdouble, il a marqué qu'elles se partageoient en trois differents endroits et par la suputation qu'il en a fait, il juge que les trois parties reunies peuvent fournir dans les 24 heures environ 2600 toises cubes d'eau et il a âjouté dans son procés verbal que les habitants d'Azille et de Caunes l'ont assuré que depuis le mois de mars les pluyes avoient été fort rares et n'avoient pû grossir le lit des rivieres.
M. Danizy qui visita cette même riviere d'Argentdouble le 20 novembre 1752 dit que les eaux de cette riviere ont toujours été à sec dans ces derniers têms de secheresse, mais que le S[r] Roger qui a le premier moulin situé sur le bord de cette riviere luy a dit que quelque secheresse qu'il y ait son moulin ne chaume jamais parce qu'il prend l'eau d'une fontaine intercalaire qui fait toujours aller son moulin jusques à moudre 10 sestiers de bled par jour, que s'il vouloit mettre une seconde meule, l'eau est assés abondante pour la faire aller au moyen de quoy il pourroit moudre 20 sestiers de bled par jour, surquoy M. Danizy a fait un calcul de 6666 toises cubes d'eau, à quoy le S[r] Roger a ajouté que pour que les eaux de son moulin n'aillent aux moulins inferieurs, ce qui luy fairoit perdre ses pratiques, il les detourne entierement et les faits servir à l'arrosage de ses prés, et il finit en disant que dix moulins qui sont au-dessoûs de celui du S[r] Roger ont chaumé tres souvent.
Il ne faut qu'examiner ces trois differentes verifications pour s'assurer combien peû il y a compter sur les eaux de la riviere d'Argentdouble dans les têms de secheresse pour remplacer celles que le Canal Royal donneroit au Canal de jonction.
M. de Clapiés a trouvé 1400 toises cubes d'eau au Canal du Moulin de la Redorte du mois de juillet et neuf cens quelques toises à celles qui repassoient au dessus du Canal de la Redorte et qui se jettoient dans les epanchoirs de l'acqueduc ; que deviennent ces eaux dans les mois que le moulin de la Redorte chaume, M. Dasté en a trouvé le 22 août 1752 2600 toises mais il n'a pas pris les precautions de s'informer si dans des années de secheresse les eaux de cette riviere diminuoient. M. Danizy dans son proces verbal du mois de novembre 1753 assure que les eaux de cette riviere ont toujours été à sec dans les derniers têms de la secheresse, que 10 moulins qui sont sur ses bords ont chaumé tres souvent et que celuy du S[r] Roger n'a été en etât de travailler dans la plus grande secheresse que par le secours d'une fontaine intercalaire. Le calcul que fait M. Danizy sur l'abondance des eaux de cette fontaine est fondé sur le seul temoignage du proprietaire du moulin auquel il n'est pas permis de s'en raporter entierement, pour en conclure que les eaux d'Argentdouble sont plus que suffisantes pour remplacer dans le Canal Royal celles qui seront necessaires au Canal de Narbonne d'autant plus que ce temoignage renferme des circonstances peû vraisemblables. Le S[r] Roger est-il assés maitre des eaux de cette fontaine pour en priver les proprietaires des moulins inferieurs quand elles ont servi pour le sien, et si ces eaux sont aussi abondantes que le S[r] Roger l'assure n'inonderoient-elles pas les possessions du S[r] Roger et celles de ses voisins si on les faisoit couler dans les terres au lieu de les rejetter dans le lit de la riviere ?
Il a paru à la commission que l'on ne pouvoit point âjouter aux proces verbaux de MM. de Clapiés, Dasté et Danizy qui proposent les eaux de la riviere d'Argentdouble comme suffisantes pour remplacer dans le Canal Royal celles qui passeront dans le Canal de jonction parce qu'aucun de ces ingenieurs ne s'est attaché à eclaircir si les eaux qu'ils ont trouvé dans la riviere d'Argentdouble s'y soutiennent dans la même abondance dans les grandes secheresses, ce fait etoit pourtant decisif et ce n'est qu'autant que l'on peut compter sur le remplacement des eaux d'Argentdouble dans les têms de secheresse qu'on a lieu de s'assurer que le Canal Royal sera en etât de fournir au Canal de jonction sans y rien perdre.
M. de Clapiés n'a rien dit à ce sujet, mais il paroit d'une part s'etre trompé dans son calcul en âjoutant aux eaux qu'il a vû dans le Canal du Moulin de la Redorte celles qui reparaissent à une demi lieue au dessoûs du village, puisqu'il paroit certain que c'etoient les mêmes eaux. D'ailleurs c'est un fait constant avoué par M. de la Redorte qui se trouve à Montpellier que son moulin est ordinairement à sec deux ou trois mois de l'année, d'ou la commission a conclû que l'eau que M. de Clapiés a vû dans le Canal du moulin de la Redorte au mois de juillet 1739 n'est point une eau sûre pour le remplacement de celle du Canal ; le procès verbal de M. Dasté renferme le même deffaut. Cet ingenieur se contente de faire mention des eaux qu'il a trouvé dans cette riviere, d'en faire le calcul ; mais il n'a pas pensé à s'éclaircir si dans toute sorte de têms ces eaux etoient egalement abondantes.
Il raporte seulement le temoignage de quelques particuliers qui luy ont dit que depuis le mois de mars les pluyes avoient été rares et n'avoient pas pû faire grossir le lit de la riviere, il s'en faut de beaucoup que la commission ait crû voir dans cette verification le principal fait que M. Dasté devoit verifier, quoiqu'il y ait trouvé beaucoup d'eau, il peut y en manquer dans d'autres têms ; mais independament des reflexions qu'a fait la commission sur ce que M. de Clapiés et M. Dasté auroient dû verifier et ce qu'ils n'ont pas fait, le proces verbal de M. Danizy renferme la preuve la plus complete de la disette des eaux de la riviere d'Argentdouble dans certains têms de l'année. Cet ingenieur dans son procès verbal du mois de novembre 1753 dit que la riviere d'Argentdouble etoit à sec depuis quelques têms. La commission a crû devoir conclure sans hesiter que les eaux que MM. de Clapiés et Dasté y ont trouvé manquent souvent et qu'on ne scauroit y compter pour le remplacement en question. Il est vray que M. Danisy a decouvert une fontaine intercalaire dont les autres ingenieurs n'avoient pas pâru faire grand cas, mais peut-on regarder comme sures les eaux d'une fontaine intercalaire et âjouter foy au calcul de M. Danisy touchant le volume des eaux de cette fontaine sur le temoignage d'un particulier ?
Ces reflexions qui paroissent si naturelles et si justes ont persuadé à la commission que la riviere d'Argentdouble n'est point une ressource sûre pour le remplacement des eaux dans le Canal Royal et luy ont fait sentir les justes raisons qu'avoient eû les proprietaires du Canal de ne point y introduire les eaux de cette riviere et de faire une depense de quatre vingt mille livres pour les faire passer dans un acqueduc à travers le Canal. Peut-on penser que les proprietaires ne se fussent pas mis en etât de se procurer les eaux pour les têms de secheresse, s'il ne les avoient regardées comme prejudiciables plutôt qu'utiles et conviendroit-il que pour l'interet de M. Crillon on les obligeat de recevoir des eaux que leurs interets et celuy du Canal les ont obligés de rejetter.
Mais en suposant que les eaux de cette riviere fussent sûres dans les têms de secheresse et en etât de fournir au remplacement, il auroit falu faire le calcul non seulement du volume de ces eaux, mais encore du volume de celles necessaires pour fournir au Canal de jonction en y comprenant celles qui se perdoient à travers les joints des portes des ecluses et par les filtrations qui se feroient dans le nouveau Canal afin de faire une comparaison juste entre le volume d'eau qui sortiroit par le Canal de jonction et celuy qui entreroit dans le Canal Royal pour le remplacer. M Thiery avoit jugé que ce Canal etoit necessaire et il avoit regardé ses opérations comme defectueuses parce que le têms ne luy avoit pas permis de le faire, on ne trouve ce calcul dans aucune des verifications des autres ingenieurs, ce deffaut suffiroit pour en etablir l'irregularité et l'insufisance, quand d'ailleurs on auroit autant lieu de compter sur les eaux d'Argentdouble, qu'il paroit evident qu'elles manquent une partie de l'été. Ce n'est donc ni des eaux du Canal Royal qui se perdent, ni de celles de la riviere d'Argentdouble qu'on peut se promettre un remplacement suffisant des eaux necessaires au Canal de jonction. Les ingenieurs n'en presentent pourtant pas d'autres, et M. de Crillon ne peut parler que d'apres eux. A toutes ces reflexions, la commission en a âjouté une qui l'a frappée extremement et qui seule l'auroit determinée à rejetter le Canal de jonction s'il etoit construit, que M. de Crillon en fut le maitre, qu'il eut à sa disposition des portes pour introduire des eaux dans le Canal Royal et pour en faire sortir. Que de discutions et de debats et de proces n'en resulteroit-il pas entre les proprietaires du Canal Royal et luy, tantôt il demanderoit l'eau pour introduire les barques dans son Canal et on luy repondroit qu'a peine y en a-t-il pour la navigation de celles qui continuent leur roûte sur le leur, dès que l'eau manqueroit pour son Canal il s'en prendroit à eux sur deffaut d'entretien de leur part et à tort ou avec raison ils entreroient en contestation. Si M. de Crillon etoit le maitre d'introduire dans le Canal Royal par les rigoles de deviation qu'il feroit faire des eaux dans le Canal Royal quand et comment il jugeroit à propos, les proprietaires se plaindroient qu'on ne les amène à contre têms et qu'elles leur seront nuisibles.
Il pourroit même arriver que dans certaines occasions les eaux des rigoles de deviation causeroient du ravage dans le Canal, interromproient la navigation et exposeroient les proprietaires à demander des indemnités à M. de Crillon, ces inconvenients inevitables, quelque mesures que l'on puisse prendre, quelque reglement dont on convienne, ont paru à la commission plus que suffisans pour empecher un ouvrage dont on ne peut se promettre qu'un avantage tres modique et dont on doit craindre un prejudice considerable. Il convient à la Province de veiller de près sur la conduite des proprietaires du Canal, et de prevenir les derrangements et les âbus qui pourroient naitre de leur negligence au sujet de l'entretien et des reparations du Canal, et c'est à quoy elle a pourveû en chargeant un de ses directeurs des travaux publics d'aller faire tous les ans la visite du Canal et de dresser un procès verbal qui mette les Etâts à portée de connoitre son etât actuel, les reparations qu'on y a faites et les reparations qui sont à faire. Mais en même têms il convient que la Province assure aux proprietaires du Canal la tranquilité et la paix, qu'elle mette à couvert d'un evenement qui les exposeroit à des altercations et des disputes sans fin et qui influeroit encore plus sur l'interet public inseparable de la seureté de la navigation sur le Canal Royal.
M. de Crillon ne croit pas qu'il faille avoir egard aux representations que fait M. de Caraman sur la perte qu'il souffriroit dans le cas ou le Canal de jonction seroit plus frequenté.
Je suis obligé, dit M. de Caraman, d'entretenir le Canal dans toute son etendue, la partie de Beziers est souvent celle qui m'expose a de plus grandes depenses, la surcharge deviendroit bien forte pour moy si ne percevant plus de droits sur cette partie du Canal j'etois obligé aux mêmes depenses pour son entretien, et si les choses en venoient au point qu'il y eut une grande disproportion entre les depenses et la perception des droits, ne serois-je pas fondé à âbandonner l'entretien de cette partie ?
Sans examiner ce qui pourroit resulter dans le cas prevû, la commission croit qu'il convient que M. de Caraman jouisse des droits que le Roy luy a donné sur le Canal dans toute son etendüe, qu'il ne partage avec personne les eaux dont l'usage luy a été accordé exclusivement à tout autre, à la charge seulement d'entretenir bien et duement le Canal ou on ne doit point luy envier les profits qu'il peut en retirer, ils sont la recompense du genie et de l'habileté de ses ancêtres, et il est de l'interet de la Province que les revenus du Canal ne soient point diminués afin que les proprietaires ayent plus de facilités et de resssources pour fournir à l'entretien et aux reparations necessaires surtout dans certains cas qui demandent des depenses très considerables.
La commission a crû se conformer dans cette façon de penser à celle qu'ont eû les personnes qui avoient le plus d'interets à favoriser le Canal de jonction et à ne pas laisser inutiles les grandes depenses qu'on avoit fait pour âvancer cet ouvrage lorsqu'il n'y avoit plus que trois quarts de lieues à faire pour l'achever . Le proces verbal qu'avoit fait M. d'Aguessau au sujet de ce Canal, les ordres donnés par M. d'Aguessau pour qu'on y travaillat le devis dressé par M. de Riquet, en consequence l'empressement avec lequel on l'avoit commencé et continué dans l'espace de plusieurs lieues ne permettent pas de douter qu'on eût extremement à cœur cet ouvrage et à quoy attribuer l'interruption ou pour mieux dire l'abandon total pendant prés de 50 ans ? ce ne scauroit etre qu'à la suitte des inconvenients que l'on decouvrit et la persuasion ou l'on fut qu'il etoit impossible de joindre ce nouveau Canal à celuy de la communication des mers sans nuire beaucoup à ce dernier, ce n'est pas dans cette seule occasion que des grands hommes à la faveur des nouvelles reflexions qu'ils ont fait sur leurs projets y ont decouvert des difficultés qu'ils n'avoient pas prevües d'abord et qui les leur ont fait abandonner ; en vain MM. de Narbonne voulant persuader qu'ils ne s'arreterent que par l'impuissance ou ils etoient de le commancer, M. le Cardinal de Bonzy, M. de la Berchere, MM.de Beauvau et de Crillon leurs archeveques ne manquoient pas de credit et de bonne volonté pour fournir des ressources à leur impuissance et leur procurer les moyens d'achever un ouvrage qui devoit etre si avantageux par toutes ces reflexions. La commission a crû que les Etâts devoient deliberer qu'ils ne pouvoient ni ne devoient consentir à la construction de ce Canal et de charger leurs deputtés à la Cour de faire toutes les representations et les demarches necessaires pour l'empecher.
Surquoy il a été deliberé que les Etâts ne peuvent ny ne doivent donner aucun espece de consentement au Canal projetté pour la jonction de la Robine de Narbonne au Canal de communication des mers, et MM. les deputés à la Cour ont été chargés de faire connoitre à Sa Majesté et à son conseil les justes craintes et les allarmes de la Province sur un ouvrage qui pourroit etre aussi prejudiciable au Canal de communication des mers qu'il paroit peû utile à l'Etât, comme aussi de charger les mêmes deputés de faire toutes les demarches convenables à l'appui de la presente deliberation.
(signature de l'archeveque de Narbonne).


Géographie de la province 17540309(01)
Climat et conditions naturelles
Discutant la faisabilité de la jonction à la robine de Narbonne (sol graveleux), ses inconvénients pour le canal royal, les experts évoquent l'alternance inondations/sécheresse, la capacité des eaux de l'Argentdouble et de l'Aude à alimenter les 2 canaux Action des Etats

Catastrophes et misères

Economie 17540309(01)
Commerce
Discutant de la jonction à la robine Narbonne, les parties (propr. du Canal et marquis de Crillon) évoquent la géogr. des flux commerciaux entre Guyenne et Méditerranée (laines, savons, salicornes pour le Bas-Languedoc, blés exportés du Haut-L., sel). Action des Etats

Agriculture, élevage, commerce, industrie

Economie 17540309(01)
Cours d'eau et voies navigables
La commis. des Trav. pub. tranche en faveur des propr. du Canal Royal et rejette la demande du marquis de Crillon de continuer le canal de jonction du Canal au grau de La Nouvelle par la robine de Narbonne, dont les trav. sont interrompus depuis 50 ans Action des Etats

Travaux publics et communications

Economie 17540309(01)
Cours d'eau et voies navigables
Le Canal royal est dit "l'un des plus glorieux monuments du règne de Louis XIV", "source féconde" d'avantages pour le royaume et la province, route sûre et commode, bien le plus solide de la Province, ressource la plus sûre de la fortune des habitants. Action des Etats

Travaux publics et communications

Economie 17540309(01)
Cours d'eau et voies navigables
Considérations de la commission des Travaux Publics et des experts consultés sur les conséquences néfastes pour la navigabilité du Canal Royal qu'aurait la jonction à la robine de Narbonne (alimentation en eau, pertes, écluses, entretien, etc.) Action des Etats

Travaux publics et communications

Relations avec la Cour (gouvernement) 17540309(01)
Députés à la cour
Les députés à la cour seront chargés de représenter au roi les inconvénients de la jonction à la robine de Narbonne pour le canal royal et pour l'Etat. Action des Etats

Relations avec le roi, la cour, les commissaires royaux

Plaintes 17540309(01)
Misères particulières
Discutant de la jonction à la robine de Narbonne, les parties (propr. du Canal et marquis de Crillon) évoquent le triste état de Narbonne, la ruine prochaine de son commerce; le projet est poussé par les consuls mais mal soutenu par les archevêques Action des Etats

Catastrophes et misères

Commissions 17540309(01)
Mode de fonctionnement
La commission des Travaux Publics s'est réunie pendant plusieurs jours chez l'évêque de Montpellier Eléments concernant l'assemblée, ses membres et son fonctionnement

Institutions et privilèges de la province