aide
Délibération 17791231(03)
Nature |
Mémoire, pièces diverses. à l'appui d'une délibération |
Code de la délibération |
17791231(03) |
CODE de la session |
17791125 |
Date |
31/12/1779 |
Cote de la source |
C 7604 |
Folio |
377 (1bis)-418 (42bis) |
Espace occupé |
41,6 |
Texte :
Mémoire présenté au Roi par les Etats de sa Province de Languedoc, en conséquence de l’article 20 des instructions de Sa Majesté.
[Nota bene : les principales séquences du texte ont été affectées d'un astérisque suivi d'un numéro pour faciliter le repérage des objets relevés]
*1. Les États doivent avant tout des remerciments à Sa Majesté, au nom de ses sujets, des principes d'économie qui la portent à faire différentes réformes & retranchements dans ses dépenses. Elle a déjà éprouvé l'heureux effet de cette méthode, qui l'a mis à portée de suffire, sans imposition nouvelle, aux frais d'une guerre nécessaire & dispendieuse ; & plus Sa Majesté étendra cette économie, plus elle la portera dans chacun de ses départements & dans toute espece de dépense, plus elle y trouvera de ressources, & plus elle s'attirera l'amour, la confiance & les bénédictions de tous ses sujets.
Les États doivent ensuite des remerciments particuliers à Sa Majesté de la confiance dont elle veut bien les honorer, en croyant qu'ils mettront à des réformes utiles le même zèle qu'ils ont témoigné en toute occasion pour le service du Roi & le bien de l'Etat. Quoique ce zèle ait pu les accoutumer à une sorte de facilité que l'économie paroît proscrire, & qu'il semble difficile que des hommes habitués à être prodigues envers leur souverain soient avares dans leurs propres affaires, les Etats se flattent de pouvoir concilier ces deux dispositions ; elles peuvent être produites par le même sentiment : le désir de procurer le bien du service du Roi, & l'intérêt des peuples.
Pour répondre aux intentions de Sa Majesté, les Etats croient devoir lui exposer dans un mémoire détaillé les diverses dépenses qui sont à leur disposition, les motifs sur lesquels elles sont fondées, & les principes suivant lesquels elles sont déterminées.
Ce mémoire remettra sous les yeux des Etats le tableau de leurs dépenses, & les mettra à portée de délibérer ou de proposer les retranchements ou les modérations dont elles sont susceptibles ; il éclairera le Conseil de Sa Majesté sur les raisons de ces dépenses & sur leur degré d'importance, &, consigné dans le procès-verbal qu'il est d'usage d'imprimer depuis quelques années, il instruira tous les habitants de la province des regles que suivent leurs représentants & des soins que les Etats se donnent pour justifier leur confiance.
Les États n'ignorent pas qu'on a souvent parlé avec exagération de ce qu'on appelle leur magnificence. Si cette réputation vient du zèle avec lequel ils se sont portés dans tous les temps à déférer aux demandes de leur souverain, ils ne la désavoueront pas, & se feront toujours un devoir de la mériter par de nouveaux efforts ; ils conviendront même que, soutenus par les ressources d'une grande Province, ils ne sont pas effrayés de l'excès d'une dépense, dès qu'elle est utile.
Mais si on entend par magnificence l'habitude de se livrer à des dépenses inutiles, ou le défaut d'ordre dans celles qui doivent avoir lieu, les Etats esperent que ce mémoire détruira cette opinion. On y verra au moins que l'ordre & l'exactitude sont un des principaux objets de leur administration ; & si quelque erreur leur est échappée, ils auront obligation à celui qui, instruit par ce mémoire, les mettra à portée de la connoître & de la réparer. Si d'ailleurs des temps antérieurs au temps actuel avoient procuré aux Etats cette réputation de magnificence, ils ne croient devoir ni les justifier ni les critiquer ; il n'y a pas encore bien des années que les principes de l'économie politique commencent à se perfectionner : les fautes de nos pères ont pu appartenir au temps auquel ils ont vécu. Si depuis une vingtaine d'années plusieurs abus ont été proscrits ; si les principes d'une gestion plus exacte ont été établis, il en doit résulter que les Etats ont au moins suivi les progrès de leur siecle : le bien qu'ils ont pu faire doit répondre de celui qu'ils s'efforceront de procurer ; & Sa Majesté doit être persuadée que la certitude de lui plaire, ajoutera encore au zèle que leur devoir leur impose.
Pour ne rien omettre de ce qui doit être mis sous les yeux de Sa Majesté, ce mémoire contiendra trois parties.
1°. Les frais de recouvrement depuis le moment où l’imposition sort des mains des contribuables jusqu'en celui où elle est versée dans la caisse de la province, & ensuite au trésor royal.
2°. Les frais d'administration, dans lesquels sont aussi compris les encouragements accordés à l'agriculture, au commerce & aux arts.
3°. Enfin, les travaux-publics qui contiennent toutes les dépenses des chemins, canaux, & autres ouvrages entrepris par la Province, les sénéchaussées ou les dioceses.
Ces trois classes renferment toutes les dépenses sur lesquelles Sa Majesté peut désirer d'être instruite ; ce mémoire en fera l'exposition simple : les Etats y joindront tout ce qui, sous le rapport d'économie, peut contribuer au bien de la province, & Sa Majesté ne les condamnera pas, s'ils lui proposent des réformes qu'il n'étoit pas en leur pouvoir d'opérer ; leur devoir est de lui dire la vérité sur tous les objets, ils la lui diront également sur ceux qui les concernent ; moins jaloux de se concilier l'approbation pour ce qu'ils ont pu faire que de la mériter en acquérant de nouvelles lumieres & les mettant à profit.
Premiere partie.
Frais des recouvrements.
*2. Tant que les Etats n’ont pas été assurés des principes d'économie qui dirigent le gouvernement, tant qu'ils ont pu craindre que les retranchements ne fussent que des moyens de dissiper, ils n'ont pas cru devoir s'occuper des ressources que l'autorité sembloit négliger, qu'elle n'auroit pas même ménagées d'après leurs représentations, & qui eussent été perdues pour des temps plus favorables.
Les intentions connues de Sa Majesté donnent aujourd'hui aux Etats une confiance qu'ils ne pouvoient ni ne devoient avoir ; le détail dans lequel ils vont entrer pour cette partie de dépense indique par lui-même les réductions dont elle est susceptible.
Les premiers frais de recouvrement sont ceux du collecteur ; on en distingue de deux sortes, le collecteur forcé, & le collecteur volontaire : quand la collecte est forcée, le collecteur doit avoir onze deniers ; quand elle est volontaire, il peut en avoir jusqu'à quatorze.
On demandera d'abord d'où vient cette différence, & il paroîtra singulier que le collecteur volontaire ait plus de rétribution que le collecteur forcé ; mais celui-ci est admis à porter en reprises les impositions qu'il n'a pas reçues, le collecteur volontaire doit au contraire faire les deniers nets, & c'est cette derniere obligation qui lui a fait accorder une rétribution plus considérable.
Quoique le collecteur volontaire puisse avoir quatorze deniers, il ne faut pas croire qu'il les obtienne communément, la collecte est mise à la moinsdite, & l'effet de cette moinsdite est, 1°. Qu'il n'y a presque point de collecteurs forcés. 2°. Que le prix de la collecte volontaire est beaucoup plus avantageux.
Des deux mille huit cents communautés & plus dont le Languedoc est composé, il n'y en a que cent quarante-sept où la collecte se fasse à onze deniers qui est le prix du collecteur forcé, & dans ces cent quarante-sept, il y en a beaucoup où les onze deniers sont le prix de l'adjudication ; ce qui oblige le collecteur à y faire livre net.
Du reste, on ne compte que trois cents quarante-cinq communautés où la collecte se fasse à quatorze deniers, & dans ces trois cents quarante-cinq, il y en a cent soixante-deux dans le seul pays de Velay où le défaut de communications & de travaux-publics a retardé jusqu'ici les progrès des connnoissances, de l'industrie, du commerce, qui distinguent les diverses parties de la province.
Dans les autres communautés la collecte se fait à beaucoup meilleur prix, dans trois cents cinquante-huit pour rien & avec le seul avantage des exemptions attachées au titre de collecteur ; dans quelques-unes à un, à deux & à trois deniers, & ainsi successivement jusqu'à quatorze, qui est comme on l'a dit, le dernier terme.
En faisant un prix moyen de ces divers prix, la collecte se fait dans la province à cinq deniers pour livre, ce qui n'est pas considérable, surtout en pensant que le collecteur n'est admis à aucune reprise.
Il faut remarquer cependant que le taux pour la collecte du vingtieme & de la capitation est à six deniers ; ce taux fixe entre dans la spéculation du collecteur volontaire, lorsqu'il se présente pour les autres impositions, & on ne conçoit pas pourquoi la moinsdite n'est pas aussi admise sur ces articles.
Quoique ce taux de cinq deniers par livre ne soit pas en général trop fort, comme il n'est que le prix moyen de la collecte, & pèche par un prix trop élevé dans quelques communautés, les Etats croient qu'il pourroit y avoir une réduction sur les quatorze deniers auxquels la collecte volontaire peut être portée, & que huit deniers suffiroient au collecteur volontaire, comme six deniers au collecteur forcé.
Cette distinction des deux collectes paroit aux Etats devoir être conservée ; la plus grande économie est celle qui donne à une recette les avantages d'une ferme ; & l'exemption des reprises est un des points les plus essentiels dans les recouvrements.
Cette réduction des quatorze deniers à huit pour les collecteurs volontaires, & de onze à six pour les collecteurs forcés, affectera à-peu-près un tiers des communautés de la province ; & quoiqu'elle paroisse peu considérable, elle sera cependant un soulagement pour ces communautés ; & c'est un premier moyen d'économie que les Etats offrent à la sagesse de Sa Majesté & aux lumieres de son Conseil.
*3. Avant 1610, la recette des dioceses étoit donnée à la moinsdite, comme la collecte des communautés ; mais, à cette époque, le Gouvernement, qui avoit établi des receveurs en titre pour les anciens deniers du Roi, voulut aussi qu'ils reçussent les deniers extraordinaires ; & successivement le droit de ces offices s'est étendu sur toutes les impositions.
Cette attribution procura au Roi une augmentation de finance, qui s'accrut ensuite par l'accroissement des droits & des offices ; ils étoient d'abord moins nombreux ; on en créa des triennaux & d'alternatifs ; ils n'avoient dans l'origine que six deniers pour livre, un denier & demi fut ajouté à raison d'une nouvelle taxation.
Chaque diocese a maintenant trois offices en titre ; & comme si ce n'étoit pas assez, le plus grand nombre est exercé par des commis que les titulaires mettent à leur place & paient sur leurs profits.
La totalité de ces profits, dont le détail sera mis sous les yeux de Sa Majesté lorsqu'elle le jugera à propos, se porte à quatre cents soixante-treize mille livres & plus, sans compter les gages qui sont presque tous payés par le trésor-royal.
Il est évident que cette somme est exorbitante pour la levée des deniers dont ces offices sont chargés ; il est évident que trois titulaires sont inutiles ; il est évident qu'ils le sont encore plus quand ils n'exercent pas leur emploi par eux-mêmes ; il est évident enfin que ce dernier abus d'un exercice étranger met plus de retard dans les paiements, puisque les délais sont souvent la seule ressource des commis ; tous ces inconvénients sont sensibles, mais on ne peut les imputer aux Etats ; ils sont la suite des créations d'offices & des droits qui leur sont attribués.
La liberté qu'a laissé M. l'abbé Terray aux propriétaires de ces offices d'en fixer eux-mêmes la valeur en a peut-être augmenté le prix. Pour un léger accroissement de centieme-denier, il n'a pas craint d'aggraver les charges de l'Etat ; & la nécessité de rembourser diminuera, sans-doute, l'avantage que présenteroit une suppression entiere, ou au moins une réduction.
Ce dernier moyen a été employé pour les autres provinces du royaume ; mais le bien qui en résulte n'est qu'éloigné, il ne tourne qu'au profit du trésor-royal, & encore ce profit n'est-il pas considérable, puisqu'il ne consiste que dans le retranchement des gages des offices supprimés.
Il est digne de Sa Majesté de s'occuper de l'amélioration de cette partie d'administration. Les Etats lui ont fait connoître l'abus & quel en est le principe, ils s'empresseront d'applaudir aux mesures que sa sagesse prendra pour y remédier.
Une des conditions de la recette, & qui ne doit jamais se perdre de vue, est, que celui qui en est chargé fasse livre net, & aux époques marquées ; le contribuable a quinze jours pour payer, le collecteur autant pour remettre les fonds au receveur des tailles, celui-ci autant pour les rendre à la caisse de la province, & de la caisse de la province, l'imposition doit aussi passer au trésor-royal dans des termes fixes & en douze mois.
On assure que ce forfait est particulier au Languedoc ; & dans ce cas, c'est un avantage de son administration. Si dans les autres provinces, chaque échelle de receveur ne fait pas de la recette son affaire propre, on ne peut nier que la perception est moins bien ordonnée, & d'une maniere moins utile pour le Gouvernement ; il semble qu'une rentrée sure & invariable est le principal objet qu'il doit se proposer, & c'est ce qui ne peut être parfaitement rempli que par des Etats ou des administrations provinciales. La solidarité qui existe entre toutes les parties empêche le déficit & les lenteurs ; & si l'impôt peut quelquefois, par des malheurs particuliers, avoir besoin de modération, il n'en éprouve jamais par la difficulté ou les délais de recouvrement.
Ce forfait absolu a dû influer nécessairement sur ce droit des receveurs, & particulierement sur ceux du trésorier de la Province, qui peut éprouver des retards, mais ne peut ni ne doit s'en permettre.
*4. Ce trésorier a deux deniers par livre de l'imposition, & vingt mille livres qui lui sont attribuées pour que la remise en soit faite sans retard au trésor-royal.
Les Etats ne comparent pas cette rétribution à celle que reçoivent les receveurs-généraux des autres provinces ; ils savent que la finance de leurs charges est considérable, tandis que celle de leur trésorier n'en paie aucune ; quoiqu'un titre d'office soit toujours une dette & une importunité, ils ne se prévaudront pas de cette différence, mais ils doivent observer que leur trésorier est sujet à de grands frais que nul autre receveur n'est tenu de supporter. Il doit avoir quatre caisses ; deux à Toulouse & à Montpellier pour la recette, & une troisieme à Lyon pour le passage des especes & une partie du recouvrement, & la quatrieme à Paris, tant pour y satisfaire au trésor-royal, que pour acquitter les rentes contractées par la Province pour le service du Roi.
Ce trésorier doit encore avoir des ambulants qui parcourent les vingt-trois dioceses de la province pour y recevoir les fonds que les receveurs ne sont pas tenus de verser dans sa caisse ; il est de plus obligé à des voyages annuels de Paris à Montpellier, & il a un établissement considérable dans chacune de ces deux villes ; & ce sont toutes ces considérations qui ont porté les Etats à faire avec lui un traité plus avantageux que s'il n'avoit été question que de recevoir les deniers des receveurs & de les distribuer dans la Province.
Ce traité a cependant été diminué de cent mille livres depuis M. Bonnier, parce que les vues économiques s'étendent & se perfectionnent insensiblement ; & si les Etats croyoient qu'il dût ou qu'il pût y avoir lieu à quelque nouvelle réduction, ils ne le dissimuleroient pas à Sa Majesté; & ils augurent trop bien de leur trésorier actuel pour ne pas croire que si quelque retranchement étoit convenable, il seroit le premier à s'y prêter.
Il existe encore en Languedoc un receveur général ; il n'a d'autre rapport aux Etats que celui de recevoir six cents soixante-dix-neuf mille cinq cents treize livres des impositions qu'ils supportent ; ils en ignorent l'utilité ; mais c'est encore un de ces offices créé par le Gouvernement, & dont la dépense ne peut leur être imputée.
Ils connoissent encore des trésoriers des mortes-paies ; l'imposition qui leur est demandée sous ce nom se porte à vingt-sept mille trois cents trente-cinq livres ; huit mille trois cents une livres cinq sols six deniers sont remis au trésorier des Etats, qui paie sur cette somme le gouverneur de Narbonne, le reste demeure entre les mains du trésorier des mortes-paies, & la quittance même du gouverneur de Narbonne lui est remise ; ces trésoriers sont au nombre de trois ; l'existence & l'inutilité de ces offices ne peuvent encore être imputées aux Etats.
Ils en diront de même du trésorier des fortifications, auquel les trente-quatre mille livres données par les Etats pour les places fortes sont remises.
Il leur paroît qu'en évitant ces cascades, on éviteroit aussi les frais qu'elles supposent & qu'elles exigent.
*5. Tels sont les frais de recouvrement de toutes les impositions, à la réserve de ceux de la ferme de l'équivalent.
Les Etats ne justifieront pas cette ferme en elle-même ; mais on ne peut leur reprocher de l'avoir conservée, lorsqu'on voit un si grand nombre d'impôts sur les consommations, & en particulier les aides, dont celui-ci est, suivant l'expression même, l'équivalent, se perpétuer sans aucune réforme, ils doivent croire que la conversion de ces impôts onéreux est sujette à bien des difficultés, puisqu'elle n'est pas effectuée par un Gouvernement aussi occupé du bien public.
Les Etats donnent cette ferme par adjudication ; il ne peut y avoir par-là, ni faveur, ni protection, ni vues incertaines qui déterminent leurs suffrages, & cette méthode leur a paru moins sujette aux inconvénients que toute autre.
Le produit de la ferme est versé dans la caisse du trésorier, mais sans qu'il lui procure aucune rétribution ; il n'est pas moins obligé d'acquitter à leurs termes les charges affectées sur ce produit, & les retards des fermiers n'en doivent pas mettre dans ses paiements.
C'est la seule imposition de cette espece qui existe en Languedoc au profit des Etats. Ils ont abonné toutes les autres qui ont lieu dans le royaume : inspecteurs aux boucheries, droits sur les huiles & savons, droits de nouvel acquêt, dons-gratuits des villes, sols pour livre, tous ces droits sont abonnés ; & c'est encore là un avantage des pays d'Etats. Le Roi trouve le secours qu'il demande, sans que les peuples soient surchargés d'une régie plus coûteuse que l'impôt même.
Les États ne parlent pas des droits des fermes qui ne sont pas entre leurs mains, mais sur lesquels ils ne croient point déplaire à Sa Majesté en lui représentant que fin du bail qui approche seroit un moment favorable, soit pour convertir une partie de ces droits en droits moins onéreux, soit pour en rendre la perception plus simple, moins épineuse, moins surchargée de frais & de peines, & moins suivie de ces discussions, de ces procès, de ces amendes qui troublent le repos du contribuable & lui rendent insuportable des sacrifices qu'il ne regreteroit pas s'ils étaient faits pour son souverain.
Les Etats ne cesseront d'offrir à Sa Majesté leurs secours & leur soins pour cet objet important ; leur idée n'est certainement pas que les revenus royaux souffrent aucune diminution. Eh ! Quand les peuples peuvent-ils avoir plus de désir de les accroître que dans un moment où le prince, obligé d'employer toutes ses forces, ménage avec tant d'attention celles de ses sujets ?
Mais, si le trésor-royal peut ne rien perdre de ses ressources & que celles du peuple puissent être augmentées ; si la même somme peut être procurée à moins de frais, & avec des gênes moins répétées & moins continuelles ; si l'accessoire de l'impôt peut être détruit, & la perception en être plus facile & plus économique, quelle réforme pourroit être plus glorieuse pour le Roi ; & s'il est permis aux Etats de la lui indiquer, ils regarderont toujours comme le premier de leurs devoirs d'y concourir en tout ce qui sera une [sic] en leur pouvoir.
A l'occasion des fermes, les Etats doivent instruire le Roi qu'il est établi sur les bateaux de sel qui remontent le Rhône un droit appellé de petit-blanc, payé par les fermiers-généraux, & employé par les trésoriers de France de Montpellier à l'entretien du pont du St. Esprit. Ce droit, sur la demande des Etats, a été porté au double pour l'entretien des chaussées du Rhône, qui en excèdent communément le produit ; ce doublement se porte à environ douze à quinze mille livres, & par conséquent le droit en lui-même à vingt-quatre ou trente mille livres ; & pour ce modique droit, il y a trois offices de receveur : on peut juger s'ils peuvent être nécessaires, & ne sont pas eux-mêmes charge véritable.
*6. Pour ne rien omettre de ce qui regarde les impositions, les Etats rendront encore compte au Roi de celles que quelques communautés perçoivent sous le nom de subvention ou d'octrois.
Ces droits portent sur certains objets de consommation ; ils sont destinés à des dépenses extraordinaires. Les Etats sont extrêmement réservés à permettre ces subventions, pour lesquelles leur consentement est nécessaire ; & il ne s'en établit presque plus de nouvelles. Ils craignent qu'elles ne soient plus coûteuses que l'imposition directe ; qu'elles ne donnent occasion à des dépenses que les communautés se refuseroient, si elles ne s'aveugloient pas sur l'effet réel, quoique moins sensible, qui en résulte ; qu'enfin y elles ne soient injustes, lorsqu'elles portent sur des denrées étrangeres aux communautés qui les obtiennent. Mais quand l'usage des subventions seroit utile & économique, les Etats seroient encore détournés de l'admettre par l'abus qu'on en a fait dans les derniers temps : elles représentent une imposition volontaire, demandée par les peuples pour leur propre bien ; & comme si une imposition de cette espece pouvoit jamais devenir une imposition forcée, on l'a assujetie aux sols pour livre.
Les Etats s'en sont chargés en corps pour le bien des communautés, & ils n'en réclament pas ; mais ils prennent la liberté d'en instruire Sa Majesté, pour lui faire comprendre combien ce qu'on appelloit autrefois l'art de la finance entraîne des dangers. L'impôt, mal assis, en tarit la source ; demandé sous de faux prétextes, il détruit la confiance. Sa Majesté fait maintenant l'heureuse expérience de la méthode opposée ; & elle éprouvera toujours que l'amour des peuples est une plus grande ressource que les chicanes & les artifices d'une finance insidieuse.
Les Etats esperent n'avoir rien omis sur ce premier article ; il présente sans-doute une réforme désirable sur plusieurs objets, mais cette réforme n'est pas uniquement en leur pouvoir, & ils esperent que le Roi n'a aucun doute sur leur empressement à entrer dans les vues que sa sagesse croira devoir préférer.
Seconde partie.
Frais d’administration.
*7. Les Etats commenceront cet article par convenir qu'il seroit possible de former une administration provinciale sur des principes plus économiques que ceux sur lesquels les Etats de Languedoc sont établis ; mais il ne faut pas juger d'une administration formée comme d'une administration naissante, & il peut y avoir dans l'une des raisons de justice & de convenance, que les commencements de l'autre ne peuvent offrir.
Par exemple, on peut supposer que dans une administration naissante, les députés qu'on y appelle ne reçoivent rien pour leur présence ; mais en admettant que les premiers effets du zèle ne céderont pas un jour à la nécessité, & qu'il n'y ait pas d'inconvénient à exclure tous ceux qui auroient besoin de rétribution, ou à les admettre sans leur en accorder, n'est-il pas évident que lorsque des baronnies ont obtenu par le laps du temps une valeur réelle, & qui a toujours influé dans les acquisitions & dans les partages, la pension qui forme cette valeur ne pourroit être retranchée sans donner une véritable atteinte à la propriété ; & tel est le cas des baronnies de Languedoc, acquises à prix d'argent, à raison de la pension qui leur est attachée ; cette pension est devenue partie du patrimoine de ceux qui les possèdent, & ne pourroit leur être enlevée sans injustice.
C'est ce que fut obligé de reconnoître le ministre, qui, entraîné par son éloignement pour tout privilege, détermina en 1750 le feu Roi à suspendre les assemblées du Languedoc. Il n'osa toucher à ces pensions ; & en 1754, elles parurent si sacrées que l'on rétablit les montres des envoyés de la noblesse, parce qu'il n'étoit pas juste qu'elles fussent supportées par les barons.
Il n'en est pas de même des évêques. Heureux de prouver au Roi leur zèle & d'être utiles au peuple, ils seroient recompensés par leurs fonctions, quand ils ne le seroient pas par le siège qu'ils occupent. Ils pressèrent le feu Roi, en 1752, de ne pas avoir égard à l'usage qui les assimiloit aux barons. Ils ne voulurent pas en 1754 que leurs grands-vicaires fussent rétablis dans les droits réclamés pour les envoyés de la noblesse ; & si la foible pension qu'ils reçoivent peut produire une utile économie, ils remercieront le Roi de vouloir bien en accepter la remise, sans même croire lui faire un sacrifice.
Les Etats n'en peuvent dire autant des députés des villes, & c'est cette classe intéressante qu'il paroît impossible d'appeller sans lui accorder aucune rétribution.
Comment, en effet, obliger d'honnêtes citoyens, mais peu aisés, à quitter leur foyer, à se transporter, quelques-uns jusqu'à soixante lieues de leur domicile, sans être au moins indemnisés des frais de voyage & de l'absence? Et quelle est la somme qui leur est accordée ? Quatre montres dont chacune est de cent-cinquante livres & la totalité de six cents livres ; ce qui pour chacun fait neuf cents trente livres avec ce que leur donnent les dioceses à titre de journées. Si les Etats ne leur accordoient pas cette remise, les communautés seroient obligées de venir à leurs secours, & ce qu'elles leur donneroient seroit peut-être plus considérable en lui-même, plus onéreux pour elles, & moins honorable pour ceux qui les recevroient.
Ces petits émoluments, & surtout l'entrée aux Etats à laquelle ils sont attachés, donnent un nouveau relief à l'administration des villes. Il en résulte qu'elle est confiée aux citoyens les plus distingués, & cette bonne composition des officiers-municipaux est certainement un grand avantage dans une Province.
C'est sur le produit de ces pensions & de ces montres que fut offert au feu Roi le vaisseau qui vient de porter dans les mers éloignées la gloire du nom françois. Jamais elles ne parurent si précieuses qu'à cette époque honorable ; & les Etats se croient d'autant plus permis de la rappeller aujourd'hui qu'à l'exception de leur Président, qui eut alors le bonheur de donner le premier sa voix, & d'une vingtaine de députés qui assistent encore aux assemblées, les autres ne peuvent se glorifier que du même zèle qui, dans les mêmes circonstances, produiroit les mêmes effets.
Les montres des députés des villes forment un objet de quarante-quatre mille livres dans la somme de deux cents mille livres à laquelle l'arrêt du Conseil de 1752, qu'on ne peut accuser de ménagement, réduisit la dépense des Etats ; elle montoit auparavant à la somme de deux cents soixante mille livres ; depuis elle a été augmentée de vingt-deux mille livres, indépendamment des montres des envoyés de la noblesse.
Si on ajoute à ces quarante-quatre mille livres les sommes attribuées aux syndics qui, à raison de l'importance de leurs charges & de la maniere dont ils les remplissent, ne peuvent paroître excessives ; les gages modiques des greffiers, & ce qui est accordé aux uns & aux autres pour les frais de leurs bureaux, ce que les Etats doivent donner en vertu de cet arrêt à des personnes étrangeres à la Province ; enfin, les frais de la députation fixés par le même arrêt, on verra que les autres frais se trouvent bornés à peu près à soixante-dix mille livres.
Il faut encore distraire de cette somme celle de treize mille trois cents trente-cinq livres quatre sols, que les Etats sont dans l'usage d'accorder aux maisons religieuses, de charité, hôpitaux, ou à des pauvres honteux, & qui ne peut être regardée comme frais d'administration.
Le reste ne présenteroit point une modération qui fût de quelque prix. Que produiroit, par exemple, le retranchement d'une musique qui coûte trois mille livres & donne de la solemnité à la messe des Etats ; d'une garde de maréchaussée qui coûte seize cents cinquante-deux liv. & qui en certaines occasions, écarte le trouble & l’affluence ; la diminution de la buvette, qui ne coûte que onze cents trente-deux liv. ; des cierges de la procession dont on ne fait mention que parce que les autres articles sont de la même importance. Toutes ces modérations & autres semblables sont rigoureusement possibles ; mais, n'y a-t-il pas une pompe nécessaire dans l'assemblée d'une grande Province ? N'y a-t-il pas un appareil extérieur qui fait impression sur le peuple, & qui le satisfait dans ses représentants ? Veut-on qu'une assemblée puisse porter dans les détails de cette espece le même genre d'économie qu'un particulier ? Celui-ci trouve un bénéfice dans la régie des plus petits objets ; une assemblée n'en trouve que dans des forfaits qui, quoique plus chers en apparence, sont dans la réalité moins coûteux, parce qu'ils sont moins sujets à erreur.
Il n'y a certainement pas de magnificence dans la salle mesquine où les Etats tiennent leurs séances ; il n'y en a pas dans la maniere dont elle est ornée ; il n'y en a pas dans leurs cérémonies extérieures, qui se bornent à une procession solemnelle trois jours après l'ouverture ; ils diront donc avec confiance qu'ils ne voient point de réduction convenable & intéressante sur aucun article de cette dépense ; & ils ajouteront que, quoique tout soit augmenté depuis l'année à laquelle ces dépenses ont été fixées par un arrêt du Conseil, elles ne se sont point accrues ; de sorte que s'il y avoit eu de l'excès (ce qui est difficile à supposer, en se rappellant les circonstances de cette époque), le temps l'auroit corrigé, & l'économie seule auroit empêché l'augmentation que tous les autres objets de dépense auroient éprouvé.
On pourroit peut-être regarder les frais de la députation comme excessifs, & dire que c'est trop dépenser que d'accorder huit mille livres à l'évêque, autant au baron, & autant aux deux députés du tiers.
Dans un temps où toutes les demandes des Etats essuyoient les plus vives contradictions, on a cependant pensé que, vu la distance des lieux, quatre mille livres ne sont pas exorbitantes pour chaque député du tiers, & on aura donné le double aux députés des deux autres ordres parce que dans les corps, les dépenses se reglent ordinairement suivant la dignité des personnes, & non suivant leurs besoins.
*8. Il a été remarqué que dans les deux cents mille livres fixées par l'arrêt du conseil de 1752, il y a une partie affectée à des personnes étrangeres à la Province. On peut placer dans la même classe ce qu'il en coûte chaque année pour le logement des commandants & officiers employés ; les Etats sont dans l'usage constant de payer ces logements, & c'est un avantage pour les communautés, qui en sont dispensées ; ils ne réclament point contre ce paiement en lui-même, mais ils ne savent si cette facilité n'a pas donné lieu à multiplier les logements au-delà du besoin.
Dans le dernier siecle, on établit dans les Cévènes un nombre de petits commandements, dont le logement est la seule rétribution. Tout d'un coup ils ont été augmentés par M. le comte d'Eu, & sans qu'on en ait connu la nécessité : en voyant la liste de tous ces logements, on y remarque le nom de personnes qui ne mettent sûrement pas le pied dans la province ; le total en monte à plus de quatre-vingt-dix-sept mille livres. Si Sa Majesté s'en fait représenter le détail, peut-être y trouvera-t-elle, au moins pour la suite, des retranchements utiles. Les Etats ne regretteront jamais ce qui tourne au profit du trésor-royal & au bien de la province. Mais pourquoi seroit-on facile à leur imposer des charges que le département même dont elles dépendent ne voudroit pas supporter, s'il étoit obligé d'y satisfaire ? Les forces du peuple ne doivent-elles pas être ménagées ; & ce qu'on lui fait payer sans motif n'est-il pas perdu pour les temps difficiles où l'on peut avoir besoin de secours extraordinaires ?
Les États n'envisageront pas sous le même point de vue ce qu'ils sont dans l'usage de remettre au gouverneur de la province, aux lieutenants-généraux, à plusieurs commandants qui y sont employés, & particulièrement à ce qui est attribué au commandant en chef, & à l'intendant ; ils ne croiront jamais acquitter assez la Province de ce qu'elle doit aux deux derniers; & ils sentent qu'ils acquittent le Roi de ce qu'il seroit tenu de donner aux autres. Les Etats ajouteront même que s'il y avoit quelque modération à faire, elle ne pourroit tomber sur les places qui exigent une résidence, une activité, une représentation, & de grandes dépenses qui en sont une suite nécessaire ; mais quelque juste que puisse être la distribution de ces sommes, les Etats ne peuvent s'empêcher de remarquer qu'elles excèdent deux cents mille livres ; & si on y ajoute les quatre-vingt-dix-sept mille livres des logements, & plus de trente mille livres compris dans les deux cents mille livres de l'arrêt de 1752, il sera aisé d'en conclure que les frais d'administration étrangers à la Province sont infiniment supérieurs à ceux qui lui sont personnels.
Il est encore une dépense dont les Etats sont chargés, & qui quelquefois se porte à des sommes considérables : celle des étapes. Il n'est pas au pouvoir des Etats de la modérer ou de l'accroître : elle dépend de la résidence & des mouvements des troupes, sur lesquels ils n'ont rien à ordonner. Tout ce qui les concerne, c'est que le service soit fait avec exactitude, sans surcharge pour les peuples, & de la maniere la plus économique. Ils ont lieu de croire que la méthode qu'ils ont suivie de rendre cette affaire commune, & de venir ainsi au secours de l'habitant, par une entreprise générale, mérite la préférence, puisque dans ces derniers temps, le gouvernement paroît l'avoir adoptée pour le reste du royaume.
Les étapes sont données à la moinsdite, & les soins que les Etats ont pris, notamment cette année, pour ne pas recevoir la loi des entrepreneurs, est une preuve qu'ils n'ont jamais cessé d'être animés des vues que Sa Majesté désire fortifier en eux ; & que s'ils sont trompés quelquefois, c'est qu'il n'est pas possible aux administrations les plus attentives d'être à l'abri de toute surprise.
La dépense des étapes accroît ou diminue, comme on l'a dit, suivant la résidence & le nombre des troupes. Les Etats ne se plaindront pas du nombre de celles qui résident ; ils ont pour principe (comme on le voit dans plusieurs articles de ce mémoire) qu'une dépense ne doit pas être regrettée, lorsqu'elle produit plus qu'elle ne coûte, & tel est l'effet nécessaire d'une grande consommation ; mais ils ne peuvent s'empêcher de désirer que les mouvements intérieurs ne soient pas multipliés sans nécessité ; & que l'infanterie, plus utile par le nombre & par sa forme, soit plutôt placée dans la Province que la cavalerie, pour laquelle il y a peu de quartiers vraiement convenables, soit pour la nourriture des chevaux, soit pour le service.
On doit mettre dans les frais d'administration ce que la Province supporte pour la mendicité. Quand le premier établissement a été formé, les Etats s'y sont prêtés avec zèle, & la dépense a excédé ce qui leur avoit été demandé. Ils ne regretteroient ni cet excédent, ni la somme à laquelle il a été réduit, s'il en résultoit quelqu'avantage ; mais il n'y a personne qui n'atteste à Sa Majesté que le même nombre de mendiants subsiste dans la Province ; & qu'ainsi, tout ce qu'on fait depuis dix ans n'a produit aucun effet. Les Etats ont eu l'honneur de le représenter plusieurs fois, il vient de leur être répondu que l'on écouteroit volontiers les moyens qu'ils proposeroient ; mais parce que le Gouvernement est incertain de ce qu'il doit faire sur cet important objet, parce que les Etats le sont peut-être eux-mêmes sur ce qu'ils doivent indiquer, parce que la matiere est plus étendue qu'on ne croit, & a besoin d'être, pour ainsi dire, reprise par dessous-œuvre, & traitée d'après des principes plus réfléchis, l'inutilité des moyens employés est-elle moins constatée ? Et quand on pense que des essais coûtent au Languedoc déjà plus de six cents mille livres, & que de ces six cents mille livres, les deux tiers n'ont pas cessé d'être dépensés depuis que ces essais sont constatés inutiles ; quand on pense à ce que le même objet a pu coûter à proportion dans les autres provinces, c'est alors vraiement que le mérite d'une sage économie se fait sentir. Il ne faudroit peut-être pour tarir la source de la mendicité que les sommes qui n'ont servi jusqu'ici qu'à la pallier, & quelques personnes oseroient même dire, à l'entretenir.
*9. Les Etats viennent de parcourir plusieurs frais d'administration qu'il n'est pas en leur pouvoir de modérer. Il leur reste à parler de ce qui regarde les encouragements.
S'ils sont généralement utiles, ils sont particuliérement nécessaires en Languedoc.
Il n'en faut pas juger comme des provinces voisines de la capitale. Les connoissances dont jouit cette ville immense refluent avec facilité dans ces provinces ; son voisinage y excite l’industrie & les talents, & tout y est mis à profit, parce que par tout ce profit est proportionné aux avances.
Dans les provinces éloignées au contraire, les progrès de la capitale sont perdus, elle ne leur rend pas ce qu'elle en reçoit, & elle les appauvrit au lieu de les enrichir.
Il faut donc qu'elles trouvent en elles-mêmes leur force & leur appui ; & les Etats osent assurer Sa Majesté que si le Languedoc n'avoit pas trouvé l'un & l'autre dans leur administration, on n'y verroit que misere & découragement.
Il n'offre pas de ces plaines vastes & fertiles, dont les productions assurées laissent dormir en repos le laboureur qui les cultive ; un tiers du Languedoc peut à peine produire des bleds, & le reste consiste en montagnes, souvent incultes, ou qui ne sont cultivées que par les soins de la plus industrieuse activité.
Les récoltes sont variées, mais sujettes à tant d'accidents que les esperances y sont continuellement frustrées. La beauté du climat est un danger, par les orages qu'il entraîne ; le voisinage de la mer, par le vent désastreux qu'il amène, les rivieres même, parce qu'elles sont presque toutes des torrents qui portent plutôt la ruine que la fécondité.
Situé d'ailleurs au milieu de deux provinces plus voisines des grands débouchés, asservi par sa position à Marseille & à Bordeaux, il auroit à peine, sans le canal-royal, le moyen de se défaire de ses denrées ; & sans les soins des Etats, on n'y verroit ni manufactures ni commerce.
Ce sont ces soins, & les encouragements qui en ont été la suite, qui ont procuré à cette province ce commerce des draps du Levant, enlevé à l'industrie angloise, & qui ne connoît plus d'ennemis que les gênes intérieures qu'on lui oppose.
C'est par les mêmes encouragements que s'est élevée cette multitude de mûriers dans un pays où il a fallu leur former un terrein, & porter à bras d'homme, sur des pics escarpés, le sol sur lequel ils doivent naître.
Filature des laines & perfection de toute espèce d'étoffes auxquelles elles sont propres ; filature de soie, & machines pour enlever au Piémont la supériorité de son organsin, & à l'Angleterre celle de ses moires ; fabriques de coton & teinture avec ce beau rouge, si peu connu & si nécessaire ; exploitation des mines de charbon de terre, que la rareté du bois rend si précieux ; emploi de ce minéral aux verreries, aux eaux-de-vie, aux huiles, au dévidage des soies, & bientôt à la fabrication du fer, si les succès répondent aux premieres espérances : découverte des mines de couperose, qu'on alloit jusqu'ici acheter chez l'étranger ; essais heureux sur l'acier, le cuivre, le plomb & l'argent même, qui, renouvellant des travaux abandonnés depuis les Romains, n'attendent que quelques succès de plus pour être suivis avec la plus grande activité ; productions variées de toute espece de la nature & de l'art : tout ce qui fait la richesse d'une province & le bonheur des habitants a été l'objet de l'attention des Etats.
Aussi oseront-ils dire à Sa Majesté que le moment de leur assemblée offre un spectacle intéressant par l'empressement avec lequel chaque citoyen vient leur faire part de ses découvertes & de ses projets. Il n'y a presque point d'année où quelque objet utile ne soit proposé ; & cette émulation qui règne dans toutes les parties, cette heureuse fermentation qui donne l'essor au génie & l'empêche de rester enfoui, ce concours général de vues & d'intérêts particuliers d'où résulte l'intérêt public, est l'effet de l'attention des Etats à ne rien négliger de ce qui peut être utile, à protéger tout ce qui doit l'être, à ne pas regretter de légeres sommes qui peuvent amener des grands profits, & à ne pas regarder même comme donnée au hazard une récompense qui n'auroit d'effet que d'encourager les talents.
*10. Ces encouragements montoient autrefois à des somme considérables. Le commerce des draps recevoit en particulier de grandes gratifications, & on ne doit pas le regretter ; mais les Etats sentirent de bonne heure qu'elles devoient avoir des bornes ; ils le représenterent plusieurs fois sans être écoutés, & ne le persuaderent qu'en 1757, elles montoient alors à quatre-vingt-cinq mille livres ; & ce qui prouve que les spéculations économiques des Etats étoient justes, c'est qu'elles se porteroient à deux cents cinquante-huit mille livres.
Actuellement ce commerce ne coûte plus à la Province que trente-cinq mille quatre cents livres accordés aux propriétaires des manufactures-royales. Pour entendre cette dette, il faut savoir que lorsqu'on voulut établir le commerce du Levant, douze manufactures furent construites, & on assura à ceux qui les éleverent une somme annuelle qui les dédommagea de la dépense & leur servit de loyer. C'est cette somme, qui, devenue un patrimoine des propriétaires de ces manufactures, leur est payée fidèlement, conformément aux premieres conventions.
Il seroit sans doute possible de s'en libérer ; mais ce ne peut être que de gré-à-gré, & en dédommageant les propriétaires qui la reçoivent.
Après ce qu'on dit de la magnificence des Etats, & ce qui vient d'être exposé des soins qu'ils se donnent pour exciter l'industrie, Sa Majesté sera peut-être étonnée de savoir que les sommes annuelles employées à cet objet, & qui montoient autrefois à plus de deux cents mille livres, ne vont pas à-présent, en y comprenant les gages des inspecteurs des manufactures, à cinquante mille livres par an.
C'est que les Etats sont persuadés que, si les encouragements sont nécessaires, ils doivent être distribués avec une grande discrétion ; que leur profusion seroit nuisible, & deviendroit quelquefois un privilege injuste ; que pour que le public en donne, il faut qu'ils lui soient profitables ; & qu'enfin, le mérite en cette matiere est de ménager l’intérêt particulier, sans cesser de s'en défier ; de l'abandonner à ses forces lorsqu'elles peuvent lui suffire, & de ne lui prêter que celles qu'il ne pourroit trouver en lui-même.
C'est ainsi que dans cette assemblée, ils ont refusé des gratifications à un citoyen industrieux (*Le sieur Sylvain de la Bitarelle), qui se propose de multiplier les soies blanches, qu'on appelle de nanquin : cette découverte pourra sans doute concentrer dans le royaume plusieurs millions que le besoin de ces soies portoit à la Chine ; mais la découverte n'est pas entierement nouvelle, & elle sera utile à celui qui l'a présentée : il a suffi aux Etats de l'avoir excitée, sans qu'ils soient obligés d'y joindre aucun encouragement. .
Ils sont au contraire disposés à aider les manufactures de papier établies à Annonay, pour qu'elles puissent se procurer des cylindres qui les fassent atteindre à la perfection hollandoise. Le premier établissement de ces cylindres demande des frais que le second n'aura pas à éprouver ; & celui qui commence doit être indemnisé par le public de cette différence.
En général, les Etats n'accordent, autant qu'il est possible, des gratifications qu'aux choses faites ; & cette méthode les met à l'abri de bien de surprises : c'est ainsi qu'ils allient l'économie avec les encouragements. Une province, comme un particulier, n'est pas ruinée par l'argent qu'elle dépense, mais par celui qu'elle dissipe. Les Etats ne calculent pas ce qu'ils donnent, mais ce qui en résulte ; & la modicité des secours qu'ils accordent, comparée à la grandeur des effets qu'ils ont produits, leur fait espérer d'avoir à-peu-près atteint le juste milieu que toute administration sage doit se proposer en cette matiere.
Les Etats donnent encore des encouragements, peut-être trop bornés, aux sciences & aux arts. Tout languit dans les provinces éloignées de la capitale ; si elles sont abandonnées à elles-mêmes, elles fournissent & ne reçoivent pas. Il faut donc qu'une administration vigilante soit sans cesse occupée à réparer leurs pertes ; & c'est à cette intention que les Etats ont accordé mille livres au collège de Soreze, pour y soutenir l'émulation par une distribution de prix solemnelle ; mille livres à chaque académie des sciences de Toulouse & de Montpellier ; deux mille à l'académie des arts de Toulouse ; & enfin, mille livres cette année à celle du même genre que des citoyens respectables viennent de lever à Montpellier. En travaillant pour la province, les Etats travaillent pour tout le royaume, & surtout pour les parties méridionales ; & ils osent croire que, si sur cet article ils ont quelque reproche à essuyer, c'est de n'en avoir pas fait assez. Ils connoissent bien ce qui manque encore au Languedoc ; la minéralogie, la physique expérimentale y sont en particulier comme inconnues ; mais ils croient que le bien doit s'opérer insensiblement, & ils saisiront les circonstances favorables pour former les établissements utiles auxquels ils n'ont encore pu parvenir.
Les Etats ne parlent pas de ces bruits populaires d'une somme de cent mille livres distribuée tous les ans par leur Président, & d'autres dépenses de ce genre. Sa Majesté sait bien ce qu'on doit croire de ces fables, dont on ne peut concevoir l'origine ; toute dépense est portée sur un état autorisé par les Commissaires de Sa Majesté, & il ne peut y avoir rien de suspect ou d'obscur.
Celles que supportent les dioceses pour leur administration particuliere sont peu considérables ; un fonds médiocre est assigné aux dépenses imprévues ; les autres ne peuvent avoir lieu sans l'autorisation des Etats & celle du Conseil ; les plus fortes sont celles des chemins dont il sera parlé.
Les communautés ont aussi un fonds pour les dépenses imprévues dont elles doivent rendre compte. Les dépenses fixes sont déterminées par une Commission qui subsiste depuis 1734 ; l'ordre est tel dans cette partie d'administration qu'à tous les instants il est facile de connoître la situation de chaque communauté, & les Etats ne savent point si un pareil ordre subsiste dans aucune autre province ; de sorte que si sur cet objet comme sur tous les autres, il ne sont pas encore parvenus à la plus parfaite économie, ils ont au moins établi l'ordre qui en est le principe & le garant.
Ils ne dissimuleront pas cependant qu'on peut leur reprocher de laisser sans fonds d'amortissement des dettes contractées par leurs peres. Ils ont dans ces derniers temps éloigné autant qu'il est possible cette méthode des emprunts, & surtout des emprunts sans remboursement ; mais ils en ont trouvé de considérables, & ils avoueront qu'il manque à leur administration de les avoir pas encore amortis ; ils ne désesperent pas d'y parvenir, & lorsqu'ils pourront établir une caisse d'amortissement pour ces dettes anciennes, ils croiront rendre un véritable service à la Province, & en même temps à Sa Majesté. Libérer ses sujets, c'est les mettre en état de lui donner plus des preuves de leur zèle & de leur amour.
Troisieme partie.
Ouvrages publics.
*11. C'est peut-être dans les travaux-publics qu'éclate le plus ce qu'on aime à appeller la magnificence du Languedoc ; & effectivement lorsque des chemins durs, raboteux & mal entretenus du Dauphiné, du Quercy, & de la généralité de Bordeaux, on passe sur les routes unies, faciles & praticables en tout temps du Languedoc ; lorsqu'on pense que ces utiles communications commencent à s'étendre dans les parties les plus reculées ; lorsqu'on voit les mêmes soins se porter sur les ports, sur les canaux & les rivieres, & sur toute espece d'ouvrages-publics ; lorsqu'on sait que les sommes employées pour ces divers objets montent à près de deux millions chaque année, on est tenté de croire que le Languedoc est la province la plus opulente du royaume, & la moins ménagere sur ses dépenses.
Mais si on vouloit considérer l'étendue d'une province qui a deux mille huit cents communautés, & dix-huit cents mille habitants ; si on vouloit penser que tout travail contraint est proscrit, & que tout s'y fait à prix d'argent ; si on vouloit mettre à part les ports & les canaux dont aucune autre province n'a, comme le Languedoc, à supporter les frais ; & si ensuite on vouloit mettre en balance le montant des diverses impositions de chaque généralité, & ce que la caisse des Ponts & chaussées leur fournit, tandis que le Languedoc ne reçoit des secours que de lui-même (a) ; si on y ajoutoit le prix des corvées, qui, pour n'être pas soldées en argent, ne sont pas moins une dépense réelle, & celui des terrains, qui, payés en Languedoc, sont ailleurs gratuitement enlevés aux propriétaires ; si on pouvoit calculer la dépense inestimable qui résulte pour le cultivateur & le manouvrier de ces mêmes corvées, souvent exigées dans un temps où leur travail leur est le plus précieux ; enfin, si on vouloit réfléchir que dans la plupart des généralités, les communications se bornent aux lignes des postes, tandis que les chemins intérieurs y sont impraticables ; les Etats osent croire que non-seulement la préférence seroit pour leur administration, mais même que la dépense y est moindre en proportion des ouvrages (b).
[(a) Ce n'est pas que le Roi ne paroisse quelquefois aider la Province dans ses grandes entreprises.
Par exemple, il lui a accordé cent cinquante mille livres pour le canal de Beaucaire à Aiguesmortes ; cinquante mille livres pour les ouvrages de la Garonne ; trente mille livres par an, pour les ouvrages de la riviere d'Aude ; soixante mille livres une fois payées pour le pont de Lavaur, & plusieurs autres semblables secours ; mais les cent cinquante mille livres données pour le canal de Beaucaire & les cinquante mille livres pour la Garonne sont pris sur une crue du sel demandée à la Province, & qui produit six cents mille livres, & cette crue avoit été demandée pour abolir les péages, & principalement ceux du Rhône.
Les autres sommes sont prises sur les fonds destinés aux indemnités, ces indemnités le sont elles-mêmes sur les impositions de la province ; de sorte qu'on a raison de dire qu'elle ne reçoit dans la réalité aucun secours que d'elle-même.]
[(b) Un simple calcul peut le démontrer en ne sortant pas du Languedoc.
Si sur dix-huit habitants on en suppose un corvéable, on en auroit cent mille en Languedoc, ce qui ne feroit pas quarante par communauté, si on employoit ces corvéables, comme dans les autres généralités, on exigeroit d'eux au moins six journées par chaque saison, ce qui feroit par an douze cents mille journées de corvéables ; si on estimoit ces journées à vingt sols, comme elles se paient, l’une portant l'autre, en Languedoc, le prix de ces journées seroit de douze cents mille livres, & si on y joignoit celui des voitures, on sent combien cette somme de douze cents mille livres seroit accrue alors ; on n'imposeroit pas deux millions, mais on en dépenseroit davantage, & les chemins seraient moins multipliés, & surtout moins entretenus ; l'entretien exige un soin continuel ; le travail des corvées ne se fait que deux fois par an, elles réparent, mais elles n'entretiennent pas, & l'économie consiste à rendre par l'entretien les réparations inutile.]
Quant à la maniere dont les ouvrages se font dans la Province, les Etats prennent la liberté de joindre à ce mémoire leur règlement, qu'ils ont tâché de perfectionner, & que le Conseil a autorisé.
On y verra, ainsi que dans les diverses délibérations consignées dans les procès-verbaux, que nul ouvrage n'est entrepris qu'après avoir été préparé presque toujours pendant plusieurs années par un long & pénible examen, par des discussions & des vérifications sans nombre, & tous les moyens qui doivent faire esperer qu'on ne peut être trompé ni sur l'utilité, ni sur la dépense.
On y verra que tout se fait par adjudication & à la moinsdite, & que si la nécessité oblige quelquefois, & pour des objets de peu d'importance, de s'écarter de cette marche, le règlement & la pratique y rappellent toujours, parce qu'il n'y en a pas de plus sure & de plus exacte pour les grandes administrations.
On y verra que la forme de ces adjudications ne permet jamais aux entrepreneurs de demander à compter de clerc à maître, ou de réclamer des indemnités. Les Etats savent qu'une forme contraire est usitée dans les Ponts & chaussées ; mais si ce qu'on assure est vrai que le pont de Marssac a été adjugé pour cent quatre-vingt-sept mille livres, & que les entrepreneurs en demandent cent trente mille de plus, ils oseront croire que leur méthode est préférable, & que des marchés précis, sont le principe d'économie le plus certain.
On y verra que les plus petits ouvrages ne peuvent être entrepris sans être autorisés par les Etats : que dans l'intervalle des assemblées, des Commissions, composées des membres des trois ordres, veillent tellement à l'exécution des projets arrêtés que le plus léger changement ne peut être fait par les directeurs sans leur être communiqué.
On y verra que chaque ouvrage a son fonds qui lui est affecté, & dont la destination ne peut être intervertie qu'au cas où les Etats ayant jugé qu'il ne pourroit avoir lieu pendant le cours de l'année, il conviendroit de l'appliquer à un autre plus pressé, avec l'assurance d'être remplacé l'année suivante.
On y verra surtout que l'entretien qui, quelque cher qu'il soit, est la plus grande économie des ouvrages-publics, a dans ces derniers temps tellement attiré l'attention des Etats qu'ils ont mieux aimé suspendre des ouvrages nécessaires que de ne pas mettre ceux qui existoient en état de neuf, pour être donnés à l'entretien & n'avoir plus besoin d'autre dépense.
Les Etats ne prétendent pas que toutes les parties de ce règlement soient exécutées aussi ponctuellement qu'ils le voudroient, ils tâchent au moins de ne s'en pas écarter en ce qui les concerne : & si malgré leurs soins, quelques parties paroissent négligées, ils prient le particulier qui seroit tenté de leur en faire un reproche de réfléchir combien dans sa propre maison, dans les travaux qu'il entreprend, ou dans les bâtiments qu'il construit, il éprouve de contradictions & même d'infidélité ; & alors il n'a qu'à se demander à lui-même s'il est juste de reprocher à une grande administration, qui a tant d'objets à soigner & à conduire, des inconvénients dont son propre intérêt ne peut le mettre à l'abri.
Mais il ne suffiroit pas aux Etats d'avoir mis ainsi sous les yeux de Sa Majesté l'ensemble de leurs travaux & de la dépense qu'ils occasionnent, un plus grand détail est nécessaire, & il convient de considérer en particulier les chemins, les ponts & canaux, & enfin tous les autres ouvrages qui ne sont pas compris dans ces trois premiers.
*12. Chemins.
On ne reprochera pas aux Etats la maniere dont les chemins se subdivisent en chemins de la province, chemins de sénéchaussées & chemins de dioceses. Toutes ces administrations sont subordonnées aux Etats, mais chacune délibere sur ce qui l'intéresse personnellement ; & des dépenses sont plus difficilement exagérées, lorsqu'elles sont demandées par ceux qui en profitent & les supportent.
On ne leur reprochera pas la largeur des chemins & la profusion du terrein qui en seroit une suite. Les chemins de Province ou de poste ont trente-six pieds entre les fossés, ceux des sénéchaussées trente, ceux des dioceses vingt-quatre. Le règlement prescrit ces dimensions ; & l'obligation de payer au propriétaire le terrein qu'on lui enlevé en assure l'exécution.
On ne reprochera pas non-plus aux Etats cette fureur des longs alignements, dont le même usage de payer suffiroit pour les garantir. Quand le terrein devient une nouvelle dépense, on se tient au simple nécessaire.
Enfin, on ne fera pas un crime aux Etats du soin qu'ils prennent pour que les chemins faits soient bien entretenus. Cet entretien est, comme on l'a dit, la premiere de toutes les économies ; & s'il eût toujours eu lieu, les Etats ne seroient pas obligés de réconstruire des chemins faits autrefois, & détruits parce qu'ils ont été négligés. Si cet entretien n'est pas encore parvenu à la perfection qu'ils désirent, ils y tendent tous les jours ; & plus ils en approcheront, moins le prix sera considérable.
On ne pourroit donc reprocher aux Etats que la multitude même de ces chemins, à l'ouverture desquels il faut convenir que toutes les parties de la province se portent avec la plus grande ardeur.
Pendant vingt ans & plus, le Gouvernement n'a cessé d'exciter les Etats à s'occuper de cette partie d'administration, & particulierement des communications du second ordre, qui effectivement avoient été négligées.
Tout d'un coup, & sans qu'on put en deviner la cause, une invitation contraire a succédé. Ce n'étoit pas pourtant un tort aux Etats d'avoir fait avec zèle ce qui leur étoit recommandé avec instance & continuité ; mais ce changement d'instruction avoit été dicté par un ministre peu soucieux du bien public, qui croyoit que la dépense la plus nécessaire devoit être sacrifiée au plus léger accroissement du trésor-royal.
Des temps plus heureux ont succédé à cette époque déplorable, & les Etats sont bien persuadés que la modération qui leur est recommandée aujourd'hui n'a en vue que le soulagement des peuples ; mais ils osent assurer Sa Majesté que ce seroit une économie meurtriere que de vouloir en cette partie arrêter le zèle des diverses administrations de la province. Ce zèle est d'abord lui-même une preuve de l'utilité des communications qu'il multiplie ; & si les administrateurs écoutoient toutes les demandes qui leur sont faites par les contribuables, la dépense seroit bientôt doublée & supportée sans regret.
Et il ne faut pas croire que les peuples, en demandant ces communications, soient aveugles sur leurs intérêts. Les grandes lignes font sans-doute la ressource du commerce & le bonheur de celui qui voyage ; mais ce sont les communications particulieres qui rendent les grandes routes utiles.
C'est par leur moyen que les denrées transportables dans tous les temps acquierent leur vraie valeur, & mettent à portée d'acquitter l'impôt.
C'est par elles que le commerce, perçant toutes les parties d'une province, la vivifie, & établit entre les habitants le seul niveau dont la Providence a permis qu'ils fussent susceptibles.
C'est aussi par les travaux qu'elles exigent que la main-d'œuvre est soutenue, le manouvrier soustrait à l'empire du riche propriétaire, & la pauvreté plus puissamment secourue que par ces ateliers de charité établis depuis peu dans quelques provinces, & qui ne peuvent entrer en comparaison avec ces ateliers constants & perpétuels que des travaux divers & non interrompus offrent de toutes parts dans le Languedoc (c).
[(c) Si en prenant des exemples hors du Languedoc, on considére la généralité d'Auch, & la différence de son état actuel avec ce qu'elle étoit avant M. d'Etigny, on y verra que suivant l'expression du pays, les louis y sont plus communs que les écus ne l'étoient autrefois. Le travail des corvées y a peut-être été un peu trop précipité ; mais le bon effet de ce travail est si sensible, que la mémoire de cet intendant y est en bénédiction ; & le trésor-royal auroit en vain, avant lui, réclamé les sommes qu'il en retire.]
C'est en partie par cette derniere raison, qu'au lieu de porter de fortes sommes sur un objet particulier, on préfère de les diviser, pour diviser aussi les travaux. Le bienfait est alors sensible dans un plus grand nombre de lieux ; l'égalité se soutient partout dans le prix des salaires ; & si on jouit moins promptement, cette économie de temps est aussi une économie de dépense. Plus on presse un ouvrage, plus il est cher ; & si on veut qu'il coûte moins, il faut, en prenant du temps pour le finir, attendre l'ouvrier & non l'enhardir par trop d'empressement, à faire la loi.
C'est ainsi que les Etats cherchent à concilier les divers intérêts dont ils sont chargés ; & ces principes seront encore plus connus en les appliquant aux différentes especes de chemins.
On a dit qu'ils se subdivisoient en chemins de Province, de sénéchaussée & de diocese.
Ceux qui sont à la charge de la Province sont la grande ligne, depuis le pont Saint-Esprit jusqu'à Montauban ; elle parcourt quatre-vingt-dix-sept lieues de poste, & est divisée en trois parties suivant les sénéchaussées ; soixante mille livres sont affectées à celle de la sénéchaussée de Nismes, autant à celle de Carcassonne, & soixante-dix mille livres à celle de la sénéchaussée de Toulouse.
Ces sommes sont employées à entretenir les parties mises en état de neuf suivant le nouveau règlement, & à y mettre les autres. Cette grande ligne qui, faute d'entretien, se réparoit sans s'améliorer, sera en dix ans, à-peu-près, & plutôt même pour quelques parties, portée à sa perfection, & la dépense sera réduite alors au seul entretien & à la réconstruction des ponts qui viendront à s'écrouler.
A cette grande ligne, il faut ajouter dans la sénéchaussée de Carcassonne le chemin de Narbonne en Roussillon, auquel on affecte 18 000 livres.
Celui de Belesta, auquel on affecte 15 000 livres.
Celui de Mont-Louis, auquel on affecte 15 000 livres.
Dans la sénéchaussée de Nismes, celui de Nismes à Avignon, auquel on affecte 15 000 livres.
Celui de Montpellier à Sette, auquel la Province contribue pour 20 000 livres.
Celui de Beaucaire à Nismes, & celui de Montpellier à la Verune, qui sont compris dans la ligne de la poste.
Et enfin, le chemin de l'Auvergne pour lequel on impose annuellement cinquante mille livres, indépendamment des cinquante mille livres qui sont pris sur l'équivalent.
Si on compare l'importance & la nécessité de plusieurs de ces chemins, dont quelques-uns ont été successivement recommandés aux Etats par le Gouvernement, avec le peu d'argent qui y est employé chaque année, on sera tenté d'accuser les Etats de n'y pas appliquer des fonds assez considérables ; mais on a vu ci-dessus l'avantage qui résulte de la division des entreprises ; il a paru convenable de finir la ligne de la poste pour reporter ensuite sur les autres, les fonds qu'elle laisseroit de libres.
On voit que des plus grandes sommes sont employées au chemin d'Auvergne ; mais c'est uniquement par déférence pour le Gouvernement, que les Etats se sont chargés de cette route, les instructions leur recommandent d’y destiner cent mille livres chaque année ; de sorte que si parmi tous ces chemins il y en avoit un dont la dépense pût être sujette à modération, les Etats sont obligés de dire que c'est celui qui leur est expressément recommandé, & qui, quoiqu'utile en lui-même, est moins pressé & doit coûter infiniment plus que tous les autres.
Les Etats peuvent mettre à la suite du chemin d'Auvergne ceux d'Alby & de Lodève. Ces deux chemins, par une inconséquence extraordinaire, sont conduits par les ingénieurs des Ponts & chaussées, comme l'a été pendant longtemps celui d'Auvergne ; mais, quoique conduits par ces ingénieurs, ils sont supportés par la Province, puisqu'on n'y emploie que le produit d'une crue de sel consentie par les Etats pour cette construction.
Cette crue fut établie en 1728, & on a lieu de croire qu'elle rapporte en Languedoc cinquante à cinquante-deux mille livres au moins.
Les chemins qui doivent se faire sur cette crue doivent avoir vingt lieues en Albigeois, & cinq environ du côté de Lodève.
De ces vingt-cinq lieues, dix-huit sont seulement passables, & sur ces dix-huit une des premieres parties, refaite plusieurs fois, manque encore de plusieurs ponts nécessaires & est dans un véritable état d'imperfection.
On a cependant employé à ces chemins le produit de cinquante mille livres pendant cinquante ans & peut-être davantage, si les parties de Rouergue & d'Auvergne n'ont pas absorbé la portion de la crue imposée en même-temps sur ces généralités.
*13. Les Etats ne chercheront point à critiquer ce que font les autres administrations ; mais comme c'est une économie que de n'avoir pas dans la même Province deux classes de directeurs, comme il n'y a rien de moins conforme aux vrais principes & au bon ordre que cette double administration dans un pays d'Etats : comme il est naturel que le Languedoc jouisse de ce qui lui appartient, & veille à ce qui l'intéresse, les Etats osent prier Sa Majesté de vouloir bien leur faire remettre le produit de cette crue pour ce qui les concerne, & de les charger aussi de la portion de chemin auquel elle est destinée ; ils ne perdront pas de temps pour la mettre à portée d'être donnée à l'entretien, & pour diminuer ainsi la dépense qu'elle exige.
Les chemins de sénéchaussée sont ceux qui conduisent d'une ville épiscopale à la ligne de poste. Quelques-uns avoient été ouverts autrefois ; des dettes considérables avoient même été contractées pour les entreprendre, mais faute d'entretien, ils étoient devenus impraticables. Si on avoit voulu suivre cette méthode d'emprunts, & ensuite négliger l'entretien, l'imposition eût été moindre. Les Etats ont pensé que ce seroit une économie condamnable que celle qui laisseroit aux générations suivantes le soin d'acquitter les dettes de la génération actuelle, ou d'en renouveller les entreprises. Les chemins nécessaires ont été ouverts, & de plus, une partie des dettes a été éteinte ; & on espere que par ce moyen on pourra parvenir à libérer les sénéchaussées & mettre à l'entretien tous les chemins dont elles doivent être chargées.
Il n'est pas possible de prévoir aussi prochainement la fin des chemins de diocese ; les parties qui y contribuent étant moins étendues, elles y destinent moins de fonds ; d'ailleurs, l'attention qu'on porte à ne pas surcharger aucune administration oblige à borner la dépense. Il faudra donc aller successivement de l'un à l'autre chemin ; & comme cette classe comprend tous ceux qui vont d'une ville particuliere à une ville épiscopale ou à une grande ligne, il est évident que le temps auquel ils seront tous achevés ne peut qu'être encore éloigné.
Ce qui est exactement observé, c'est que chaque chemin fini est mis à l'entretien ; & les Etats ne croient pas pouvoir trop répéter que cette classe de chemins est la plus intéressante : l'argent qu'on y destine est placé au plus haut intérêt, & la véritable économie est sans doute celle qui multiplie à l'infini les sources de la richesse & de l'abondance.
Les Etats conviendront qu'il manque encore à leur administration de s'occuper des chemins de communautés, qui ne sont pas moins intéressants : car si la denrée ne peut sortir du grenier du propriétaire, il est inutile qu'ailleurs elle puisse être transportée ; si elle en sort à dos de mulet ou de cheval, il est presque inutile qu'ailleurs elle soit voiturée ; mais les Etats ont dû commencer par les premieres communications, & ils esperent que Sa Majesté approuvera les vues qu'ils auront l'honneur de lui proposer sur cette quatrieme & derniere classe de chemins (d).
[(d) Il ne faut pas juger de nos provinces comme de l'Isle de France, de la Champagne, de la Brie qui entourent la capitale ; quand les chemins y sont mauvais, ils sont au moins ouverts & praticables dans les belles saisons ; en Languedoc toute communication est fermée aux voitures, & en tout temps, si elle n'a été rendue aisée ; le commerce s'y fait à dos de mulet s'il ne trouve pas un chemin ouvert & facile ; il faut donc que l'attention se porte à toutes les parties ; & les extrémités d'un chemin deviendroient inutiles, si tout ce qui y conduit n'étoit également ouvert & praticable.]
Ce sera alors que le Languedoc pourra véritablement se flatter d'avoir des communications faciles ; & l'effet n'en sera pas moins sensible sur les mœurs que sur les productions.
Quand Louis XIV voulut soumettre les Cévènes, il ordonna que des chemins y fussent établis ; & l'époque de leur soumission fut aussi celle de leur richesse. Les mœurs ne sont plus féroces dans les pays des montagnes que parce qu'il est plus difficile d'y pénétrer ; & si on parcouroit les parties du Languedoc qui ne sont pas ouvertes, si on comparoit les routes impraticables du Velay (e) avec les routes plus faciles du Vivarais ; celles de ce pays montueux avec les Cévènes encore plus ouvertes & plus cultivées ; enfin, ces Cévènes mêmes avec les parties de la province où les communications sont plus faciles, on verroit combien ces communications influent sur les mœurs, sur la soumission aux loix, sur le respect pour le prince : la culture de l'esprit & celle des terres semblent marcher de niveau ; & dans l'ordre moral, comme dans l'ordre physique, la plus fatale politique serroit celle qui, isolant les hommes faute de communications, aimeroit mieux ne les pas imposer que de les policer & de les enrichir.
[(e) On a vu ci-dessus qu'en Velay la collecte coûtoit communément quatorze deniers, & voilà une preuve de ce que produit le défaut de communication.]
*14. Les ponts.
La nécessité fait construire les ponts ; le défaut de moyens suffisants empêche de les construire tous à la fois. L'économie consiste à choisir les plus nécessaires, & à ne les pas faire trop dispendieux.
Les Etats suivent pour la dépense des ponts une méthode qui proportionne l'entreprise à l'intérêt. Quand un pont ne passe pas quatre cents quatre-vingt livres, il est à la charge de la communauté qui le demande ; s'il passe cette somme, il devient à la charge du diocese jusqu'à la somme de quatre mille livres ; à celle de la sénéchaussée jusqu'à dix mille livres ; & au-delà, à celle de la province. Mais dans ces diverses gradations, chaque portion paie toujours son contingent, qu'on appelle préciput ; & par ce moyen, les administrations inférieures ne sont point intéressées à augmenter les frais, & l'administration supérieure l'est à les diminuer.
Quant à la magnificence dans les ponts, les Etats n'en connoissent que deux sur lesquels ils peuvent convenir que le desir naturel aux directeurs de faire valoir leurs talents a pu les porter au-delà du nécessaire ; celui de Lavaur, bientôt fini, & celui de Gignac qu'on commence à construire.
Celui-ci, suspendu pendant cinquante ans, & dont la nécessité a été démontrée par une multitude de malheurs, offroit des difficultés que l'art seul pouvoit vaincre ; & les efforts de l'art amenent toujours une sorte d'appareil & de magnificence dont il est difficile de se défendre.
L'autre, placé sur une riviere rapide, où trois arches pouvoient être construites, la traverse par une seule de cent cinquante pieds de largeur.
Il en résultera peut-être un surcroît de dépense ; mais l'art des ponts ne peut être trop perfectionné, & il ne peut l'être que par de grands exemples. Ce sont ceux qui ont été donnés par les ingénieurs des Ponts & chaussées qui ont excité le zèle des directeurs du Languedoc ; il en coûte plus pour l'ouvrage qu'on entreprend, mais il en coûte moins pour ceux qui suivent. On sait d'ailleurs combien les ponts surbaissés ont d'avantages par le libre cours des eaux & la facilité du passage des voitures ; & si on comparoit les frais d'une seule arche & ceux que plusieurs arches entraînent, on trouveroit peut-être que la dépense n'augmente pas à proportion de la grace & de la solidité.
Les Etats pourront restreindre les ingénieurs sur l'essor qu'ils voudroient se donner ; mais ils ne peuvent prévoir de modération sur la dépense que les ponts exigent. Le Languedoc est traversé de torrents qui se trouvent tout d'un coup impraticables. De grandes rivieres, telles que la Garonne, le Tarn & plusieurs autres, manquent encore de ponts indispensables. Il en faut dans des lieux où il y en avoit autrefois, & qui ont été renversés par des inondations, ou que la vétusté a détruit : il les faut construire en pierre, parce que les bois deviennent rares, & que l'exemple de celui qui, sept ans après sa construction à Valentine, a été entraîné par une crue de la Garonne, a fait voir que l'épargne dans la construction est une mauvaise économie.
L'attention des Etats ne peut donc se borner qu'à commencer par les plus nécessaires, à suspendre les autres jusqu'à ce que les premiers soient finis, à ménager sur ce qui concerne l'ornement sans rien épargner pour la solidité, & à prévenir toute incertitude dans les adjudications, de maniere que le prix soit aussi certain qu'il peut être avant l'entreprise, & ne puisse augmenter lorsqu'elle est commencée.
*15. Canaux et rivieres.
L'attention que les Etats donnent à tirer parti des eaux, à les empêcher de nuire & à les rendre praticables, est un des objets principaux de leur administration.
Ils ne parlent pas seulement du grand Canal de communication des deux mers ; ce Canal est la possession de la famille qui l’a fait construire, & on ne peut qu'applaudir à la vigilance avec laquelle il est entretenu.
Ce Canal n'en exige pas moins cependant de temps en temps des dépenses de la part de la province. Tantôt ce sont des ponts qu'il faut établir ; & comme tous ont été faits à la même époque & trop légerement, c'est aussi à la même époque qu'il faut travailler à leur réconstruction ; tantôt ce sont des aqueducs que demandent les riverains ou d'autres ouvrages du même genre ; la maniere dont ils doivent être faits par la Province & les propriétaires du canal, est déterminée par des conventions faites en 1739, & il ne peut y avoir ni luxe ni excès dans cette dépense.
Mais, quelque beau que soit en lui-même le projet du Canal de communication des deux mers, il ne remplissoit qu'imparfaitement ce que le bien de la province & celui du royaume sembloit exiger. Il falloit étendre l'embouchure de ce canal & le joindre au port de Sette, le plus considérable de la province.
Il falloit aller encore plus loin, & passant au travers des étangs & de marais joindre Agde, Sette, Aiguesmortes & Beaucaire, & donner par là la main aux canaux qui doivent traverser tout le royaume.
Il falloit ne pas négliger les branches intérieures, & surtout celle du Sommail à Narbonne, tant de fois reculée par des petits intérêts mal entendus, & à la fin heureusement conciliée pour l'avantage commun des deux navigations.
Il falloit, en s'occupant de ces objets intéressants & de ceux qui en sont une suite, ne pas négliger la navigation des grands fleuves qui arrosent le Languedoc, & surtout celle de la Garonne ; la perfectionner de Toulouse à Bordeaux (f), l'ouvrir dans la partie supérieure, & amener ainsi du fond des Pyrénées toutes les richesses & les productions que ces précieuses montagnes récelent, & dont le besoin se fait plus sentir que jamais.
[(f) Les Etats ne peuvent s'empêcher de remarquer que depuis trois ans & plus, ils sollicitent un arrêt du Conseil au sujet de cette riviere. L'utilité en est reconnue, les principes en sont avoués, & le délai augmente la dépense, nuit au commerce, & rend la navigation plus difficile. L'économie dans ces sortes d'ouvrages exige qu'ils soient faits promptement, à propos & avec suite.]
L'ensemble de ces projets peut sans doute en imposer à l'imagination, mais ce n'est pas par leur grandeur qu'ils doivent être jugés, c'est par leur utilité : s'ils ne produisent pas de bons effets, leur majesté apparente n'est qu'une illusion ; mais s'ils font sortir du néant des parties presque inconnues, s'ils répandent par tout la richesse & l'abondance, s'ils rendent à la société, par le commerce qu'ils animent & les productions qu'ils font naître, le centuple des sommes qu'on peut employer, leur grandeur alors ne peut être un titre pour les rejeter, & il n'y a plus pour les entreprendre d'autre économie que celle du temps & des moyens.
C'est à quoi s'est porté toute l'attention des Etats. Ils n'ont pas tout entrepris à la fois, & ce qui est entrepris l'est par divers moyens.
Une partie de la crue du sel, consentie à cette condition, est affectée au canal de Beaucaire & à celui de Narbonne, une autre partie aux ouvrages de la Garonne ; & les impositions ordinaires fournissent au surplus, ainsi qu'au canal de Sette & des étangs.
On ne peut séparer d'un grand projet toute idée de magnificence ; l'étendue des ouvrages, leur solidité, la grace des formes qui naissent de cette solidité même, suffisent pour exciter cette impression ; mais à la réserve de ces qualités essentielles, les Etats ne se sont permis ni ornements ni recherches qui appartinssent uniquement à la décoration. A Aiguesmortes & au Sommail, ce sont de grands bassins & des écluses construites avec toute la sûreté qu'elles demandent. A Sette, ce n'est qu'un creusement au milieu des sables & des eaux.
*16. A Toulouse, l'entreprise totale paroît avoir besoin d'un plus grand éclaircissement.
Cette ville, la capitale de la province, a l'avantage d'être baignée par un grand fleuve qui passe au pied de ses murs & la sépare d'un fauxbourg considérable, appellé le fauxbourg St. Cyprien.
Mais ce fleuve étoit rendu inutile par deux moulins, l'un supérieur appellé du Château, l'autre inférieur appellé le Basacle, qui barroient par deux grandes chaussées & interdisoient tout passage aux bâtiments qui vouloient ou le remonter ou le descendre.
Sur ce même fleuve se trouve un pont magnifique construit dans le dernier siecle, qu'on ne refairoit pas pour plusieurs millions, & dont la conservation est infiniment précieuse.
La seconde pile de ce pont étoit menacée par les eaux qui s'y portoient avec force, & cet effet étoit causé par un atterrissement inférieur qui empêchoit les mêmes eaux de passer sous la premiere arche.
Il falloit donc, pour l'intérêt du pont & pour celui du commerce, détruire cet atterrissement, & vaincre les obstacles qu'offroient les deux moulins.
Cette idée simple est le principe de tous les ouvrages qui se sont faits à Toulouse, & qui en ont été une suite nécessaire.
Pour détruire cet atterrissement, il a fallu y substituer un quai, dont les eaux puissent baigner les bords : pour vaincre un des moulins il a fallu faire un canal qui, le tournant, communiquât la Garonne avec elle-même ; & pour rendre ce canal facile, il a fallu étendre les parapets & les quais jusqu'à celui qui devoit remplacer l'atterrissement, & y faire deux ports pour la commodité du commerce.
On ne peut nier que la dépense de ces ouvrages n'ait été considérable, parce qu'un canal de huit cents toises, des ponts qui le traversent, une grande écluse, des quais, des parapets, des maisons à détruire pour leur emplacement ; enfin, l'ensemble d'un pareil projet ne peut être fait à vil prix, mais on y a travaillé longtemps ; depuis dix ans & plus, l'ouvrage est commencé & n'est pas fini ; pour aider la Province, le Roi a permis que les fonds destinés pour la navigation supérieure de la Garonne y fussent employés ; les ouvrages sont grands & solides, mais rien n'y est magnifique ; & à la réserve d'un bas-relief en marbre de cinquante pieds, qui a coûté quinze mille livres, il n'y a pas un seul ornement de sculpture ou d'architecture au-delà de ceux que la solidité assigne.
Déjà la ville de Toulouse jouit d'une partie des avantages de ce vaste projet, & déjà l'économie des Etats commence à rembourser des sommes qu'il a fallu dans certains temps emprunter pour son exécution ; mais l'obstacle supérieur reste encore à surmonter ; & les Etats sont si convaincus de l'importance & de la nécessité de completter ce grand ouvrage qu'ils ne craindront pas, cette année même, d'en mettre les moyens sous les yeux de Sa Majesté, & ils esperent qu'elle voudra bien y applaudir & leur continuer le même secours.
On demandera peut-être pourquoi cet ouvrage, qui paroît singulièrement utile à une ville particuliere, ne se fait pas à ses dépens, & est supporté par la Province ?
Si le pont qu'il s'agissoit de préserver se fût écroulé, il n'eût pas été réconstruit aux frais de la ville, mais à ceux des Etats ; le commerce, à qui il s'agissoit d'ouvrir une route, ne regardoit pas la ville seule qui pouvoit lui servir de passage, mais encore les parties supérieures & inférieures. On seroit plutôt en droit de demander pourquoi de tels ouvrages ne se sont pas aux dépens de tout le royaume, que d'imaginer qu'ils dussent être faits par la ville qui leur prête son territoire.
Il est vrai qu'elle profite des quais qui se font le long de son enceinte ; mais ces quais ne sont que pour la conservation du pont & les abords du commerce ; ce ne sont pas les maisons & les façades que la Province construit, ce sont les murailles qui soutiennent ces quais & les défendent de la riviere. Si elle aide les particuliers dans la construction de leurs nouvelles habitations, c'est en dédommagement de celles que l'établissement des quais oblige de leur enlever ; son objet est de donner une issue aux eaux & au commerce, & la décoration de la ville n'en est qu'un effet accessoire.
*17. Ce n'est pas que s'il y eût du doute pour savoir qui, de la Province ou de la ville, eût dû supporter quelque partie de la dépense, les Etats n'eussent par une suite de leurs principes prononcé contre eux-mêmes ; ils croient que l'intérêt direct doit décider des frais de tout ouvrage ; mais lorsque cet intérêt est douteux ou partagé, ils pensent aussi que c'est à la partie la plus puissante à soulager celle qui est la moins riche. Ils se regardent comme les peres & les tuteurs des administrations subordonnées ; ils s'empressent de venir à leur secours ; les communautés, dont la Province n'est que la réunion, excitent particulierement leur attention ; c’est pour les ménager qu'ils se sont chargés en corps de plusieurs impositions qui auroient été leur ruine. On ne peut trop, dans une administration bien entendue, conserver la force des communautés. Si elles sont trop accablées des charges directes, elles ne peuvent plus suffire aux charges générales ; & il faut que tout s'écrase si les parties s'affoiblissent.
Ce n'est pas seulement la navigation des canaux & des rivieres qui occupe les Etats, ils cherchent encore à prévenir ou à réparer le désastre des eaux stagnantes ou des inondations causées par les torrents.
C'est par une suite de cette attention qu'on les voit travailler sans relâche à reconquérir sur les marais d'Aiguesmortes des terreins cédés par le domaine à l'avidité des particuliers, & qu'il a fallu retirer à prix d’argent de leurs mains pour les rendre à la culture & y ramener la salubrité.
C'est par une suite de la même attention que des ouvrages ingénieux auxquels Sa Majesté veut bien contribuer sur le fonds des indemnités, disposeront, pour ainsi dire, à volonté, des inondations d'un torrent (la riviere d'Aude), & doivent les écarter ou les placer, en quelque sorte, avec la main, suivant qu'elles pourront être avantageuses ou nuisibles.
C'est enfin dans cette vue que presque tous les dioceses sont occupés de prévenir les crues des rivieres, d'en aligner le cours, & de détruire les moulins qui l'interceptent. Dans les pays méridionaux, presque toutes les rivieres sont des torrents, les ouvrages qu'elles exigent sont donc fréquents & dispendieux ; dans les autres provinces, ces ouvrages sont souvent inutiles, quelquefois négligés ; quand ils ont lieu, ils sont supportés par des fonds étrangers à l'imposition générale & presque ignorés du Gouvernement. En Languedoc, tout est évident & connu ; pour tout supporter, il n'y a qu'un seul fonds, celui de l'imposition. Les communautés même, qui ont des biens patrimoniaux, sont obligées d'en mettre le produit en moins-imposé, ce qui leur en rend la gestion plus intéressante, & les dépenses sont imposées ; ce qui doit rendre sobre à les demander & attentif à les éviter.
Sa Majesté ne doit donc pas être étonnée si, l'imposition supportant tout, monte à des sommes considérables ; elle ne doit pas l'être non plus si les Etats lui demandent de si grands secours sur les indemnités pour le redressement des rivieres & autres ouvrages semblables. C'est principalement à conserver & à recouvrer les biens que supportent l'impôt que l'indemnité doit être consacrée ; & ne vaut-il pas mieux dédommager celui qui perd son fonds que celui qui n'en perd que la récolte? La modique somme que celui-ci reçoit ne peut compenser la perte qu'il a supportée, & celle que l'autre recevroit, ou la communauté plaignante, leur rendroit ou conserveroit des terreins qui ont été enlevés ou qui sont prêts à leur échapper.
Avant de terminer ce qui regarde les eaux, il est juste de ne pas omettre l'entretien des ports, qui est à la charge des Etats.
Dans les autres provinces, cette dépense est supportée par tout le royaume. Le Languedoc supporte seul celle qui le concerne & ne s'en plaint pas ; mais cette partie de dépense accroît nécessairement l'imposition faite pour les ouvrages-publics.
Le port de Sette, le principal des ports du Languedoc, a été déterminé par le Gouvernement ; & c'est lui qui a excité en divers temps les Etats à y faire tous les ouvrages qu'on peut y approuver ou y critiquer. c'est sans doute un malheur pour la Province que ce port, saisi à chaque instant par les sables amoncelés du golfe de Lyon, ne puisse être entretenu qu'avec des frais excessifs & répétés chaque année ; mais ces frais ne peuvent être évités sans rendre inutile la dépense qui a été faite, & qui ne pourroit peut-être pas être mieux placée ; & en les supportant, les Etats ne font que se conformer à une suite d'instructions que le Gouvernement est trop éclairé pour vouloir révoquer.
Les mêmes instructions ont recommandé les ports d'Agde & de La Nouvelle, intéressants par leur position. Le Languedoc est bien loin de se glorifier de ces ports, il en sent l'insuffisance ; mais obligé de se contenter de ce que sa position lui permet, il s'efforce de suppléer à la médiocrité par l'exactitude de l'entretien ; & c'est à cette exactitude que les Etats bornent leur dépense : heureux encore, si une liberté entiere pouvoit animer leur commerce, & si une ville voisine, contente de son évidente supériorité, ne cherchoit pas à enlever au Languedoc le foible avantage des ports difficiles, imparfaits, & qui ne peuvent jamais être ses rivaux.
*18. Ouvrages de toute espece non-compris dans les paragraphes précédents.
Il reste peu d'ouvrages qui ne soient compris dans ceux qu'on vient d'exposer. Les Etats ne parlent pas de l'entretien des places fortes, pour lequel ils contribuent d'une somme de trente-quatre mille livres : cette somme a été augmentée depuis trois ans de quatorze mille livres. Les Etats ont réclamé contre cette augmentation, & ils avouent qu'ils ne peuvent concevoir à quoi servent ces places fortes, qui n'en ont que le nom & la dépense, qu'on n'entretiendroit sûrement pas avec trente-quatre mille livres, pour lesquelles trente-quatre mille livres sont superflus s'il n'est pas besoin de les entretenir, & dont l'abandon seroit une grande épargne, comme la destruction une véritable économie. Les Etats ne peuvent que s'en rapporter à la sagesse de Sa Majesté ; mais ils ont cru entrer dans ses vues en lui indiquant un retranchement utile, & dont il ne peut résulter aucun inconvénient.
Il est deux ouvrages dont les Etats doivent rendre un compte particulier à Sa Majesté, parce qu'ils en imposent au voyageur, & que sûrement on y fait allusion, toutes les fois qu'on parle de la magnificence du Languedoc.
Ces ouvrages sont la place du Peyrou à Montpellier, & l'entrée de Toulouse du côté de la Guyenne.
La place du Peyrou est sans doute un ouvrage de luxe, si on applique cette dénomination à tout ce qui n'est pas de premiere nécessité. En ce sens, toute place publique est un ouvrage de luxe, & par son emplacement qui est stérile & sans produit, & par sa décoration qui ne peut s'établir sans dépense.
Pour juger de celle que la place du Peyrou a occasionné, il faut savoir que les Etats avoient délibéré du vivant de Louis XIV de lui élever une statue sur une éminence située à Montpellier, & qu'on appelle le Peyrou ; d'acheter les terreins qui entouroient cette éminence, & d'y former une place où cette statue seroit posée.
La mort de Louis XIV n'empêcha pas l'exécution du vœu des Etats ; la statue fut élevée en 1717, & on y voit cette inscription :
Incolumi vovere:
Ex oculis sublato posuere.
Les Etats firent plus, ils acquirent successivement les terreins nécessaires pour la formation de la place ; mais ils retarderent la décoration, tant par une suite de cette attention qu'ils ont à méditer longtemps leurs projets avant de les exécuter, que par les difficultés que la position offre pour en former un convenable.
L'occasion de se déterminer se présenta en 1764. L'administration de Montpellier, autorisée & dirigée par M. l'intendant, venoit de construire un aqueduc immense, qui pouvoit apporter plus de quatre-vingt pouces d'une eau saine & limpide dans une ville qui, dévorée par l'ardeur du climat, n'avoit pour fournir aux besoins de ses habitants qu'une chétive fontaine d'une eau fade & peu salubre, & prête à tarir à tous les instants.
Cet utile, quoique magnifique & dispendieux ouvrage, devoit être suivi de belles fontaines, qui répandissent cette eau salutaire dans les différents quartiers de la ville ; mais l'arrivée même de l'eau manquoit de la décoration nécessaire.
L'aqueduc aboutissoit à cette même place du Peyrou, qui, dénuée de tout ornement, ne répondoit pas au monument majestueux dont elle devoit être le terme.
La ville de Montpellier demanda alors aux Etats de reprendre l'engagement que leurs peres avoient contracté. Il étoit honteux de ne le pas accomplir, & de laisser la statue d'un grand Roi isolée, pour ainsi dire, au milieu des champs.
Il étoit convenable d'aider une ville qui venoit de subvenir à une dépense dont les Etats chaque année pourroient recueillir le fruit ; l'exécution de l'ancien engagement fut donc de nouveau délibéré ; & ayant été autorisé par le Roi, les Etats firent dresser divers plans &. projets qui furent mis sous leurs yeux.
Ils se déterminerent pour le plus économique ; en l'adoptant, il fallut exclure celui d'une colonnade que la position sembloit exiger ; on la rejeta à cause de la cherté ; mais il fallut y suppléer en partie, & la grandeur de l'idée fut substituée à la grandeur de la dépense.
Louis XIV avoit donné son nom à son siecle, & réciproquement les grands-hommes de ce siecle avoient contribué à sa gloire. Il fut résolu d'entourer cette place des statues de ces grands-hommes, & de mettre ainsi Louis XIV au milieu de ceux qui avoient illustré son regne. Cette suite de statues, au nombre de douze groupes, sera coûteuse sans doute, mais elle l'est bien-moins que ces colonnes qu'on auroit été obligé d'adopter; & la dépense, se faisant successivement, sera moins sensible.
Si on demande maintenant pourquoi élever un tel monument dans une ville particuliere & si éloignée de la capitale, les Etats croient qu'il ne leur sera pas difficile de répondre ; c'est que l'engagement avoit été pris autrefois par le Languedoc, & que les rois y sont respectés après leur mort, quand ils y ont été honorés pendant leur vie ; c'est qu'une ville où se tiennent les Etats, & où les étrangers abordent de toute part, mérite une attention particuliere ; c'est qu'il étoit juste que le public, en y concourant, mît pour ainsi dire sa sanction à la dépense de l'aqueduc dont il profitoit avec tant d'avantages ; c'est enfin parce que les Etats osent croire que ce n'est pas dans la capitale seule que les arts doivent être soutenus & encouragés.
Les progrès qu'ils y font sont, comme on l'a dit, perdus pour nos Provinces. Trop éloignées du centre, l'industrie languit si elle n'est encouragée ; & si le talent n'y est pas occupé, il faut qu'il s'en éloigne. Ce n'est pas qu'on ait l'intention d'y entretenir beaucoup de statuaires, des peintres, etc., mais on ne peut trop répéter que c'est en protégeant les classes supérieures que les classes inférieures se forment : il n'y a point de bons artisans où il n'y a pas d'artistes, & ceux-ci dans nos contrées ne peuvent être fixés ni formés que par les ouvrages-publics.
Ainsi, des objets qui paroissent de luxe deviennent par leurs effets des objets de premiere nécessité ; & lorsqu'à cette considération se joint l'avantage de maintenir le respect dû aux rois, en décorant dignement la place où est élevée la statue d'un des plus grands d'entr'eux, les Etats esperent que la dépense n'en sera regrettée ni des peuples ni du Gouvernement.
Il ne leur sera pas plus difficile d'expliquer les ouvrages qui se font auprès de Toulouse pour l'entrée de cette ville.
Les chemins nécessaires d'Auch & de Lombés étoient prêts d'être finis ; mais à l'issue de ces chemins étoit la porte qu'on appelle St. Cyprien, & qui offroit, de l'aveu de tout le monde, les plus grandes incommodités dans son passage.
Les Etats demanderent donc à la ville d'y remédier ; & celle-ci, prenant alors en considération divers projets, se détermina pour une nouvelle rue qui enfileroit le pont sur la Garonne plus directement que celle qu'on étoit obligé de suivre.
Cette délibération fut autorisée par M. l'intendant ; & la ville en conséquence demanda aux Etats de conformer les avenues extérieures au projet qu'elle avoit adopté.
Les Etats ont acquiescé à cette demande, & eussent été répréhensibles s'ils ne l'eussent pas fait ; ils ne diront pas que cette nouvelle rue fût de premiere nécessité ; mais ils diront qu'une belle entrée convient à une grande ville, la capitale d'une grande Province ; ils diront que la porte du côté d'Auch est une de ses principales issues, & par laquelle il abonde le plus grand nombre de voitures; ils diront que le vœu de la ville a dû déterminer celui des Etats ; & qu'en exécutant, comme ils font, l'ouvrage avec lenteur, ils y ont observé la seule économie dont il est susceptible.
Ils ajouteront qu'on peut remarquer dans cette dépense le soin qu'ils ont de laisser à chaque administration la dépense qu'elle doit supporter.
Jusqu'a l'entrée tout est à la charge de la Province ; la porte, & tout ce qui est intérieur, sont supportés par la ville. C'est par cette harmonie & cet accord des diverses administrations qu'elles parviennent à faire de grandes choses sans être surchargées : il n'est presque rien que les Provinces ne puissent exécuter lorsque l'argent ne sort pas de leur enceinte & que leurs forces sont ménagées.
*19. Il résulte de cet exposé sur les ouvrages-publics qu'il y a très-peu de dépenses qui ne soient de premiere nécessité ; que celles qu'on pourroit accuser de luxe sont justifiées par leur influence sur les arts, dont il est de l'intérêt public de favoriser la perfection ; & qu'à l'égard des autres, elles sont toutes nécessaires & indispensables ; que sans elles le commerce & l'agriculture auroient langui dans la Province ; qu'elles seules ont mis le peuple à portée de suffire à l'impôt ; qu'elles sont la ressource du pauvre & le principe de l'aisance du riche ; que ce seroit réduire l'un à la mendicité & l'autre à la détresse que de vouloir les retrancher ou diminuer ; & que la seule économie que les Etats ne doivent jamais perdre de vue est de faire ces dépenses avec ordre, sans excéder le prix des ouvrages, & sans les ménager aux dépens de la solidité.
Ce n'est pas que s'il survenoit quelque imposition extraordinaire occasionnée par la guerre ou par quelqu'autre circonstance imprévue, les Etats ne crussent pouvoir faire quelques retranchements ; & c'est là encore un des avantages de leur administration. C'est pendant la paix qu'il faut se livrer à des travaux utiles ; l'argent du riche passe alors sans qu'il s'en apperçoive, & avec profit pour lui-même, dans la poche du pauvre. Lorsque la guerre vient, une partie de ces dépenses suspendue rend moins sensible l'imposition à laquelle elle oblige d'avoir recours ; mais ce retranchement même ne doit être que passager, il n'est pas suffisant pour le soulagement des peuples que l'imposition soit la même ; la différence est extrême lorsqu'elle est remise au trésor-royal, ou lorsqu'elle est dépensée dans la Province ; ici la dépense rapporte plus qu'elle ne coûte ; là tout est en perte pour la Province, & la guerre diminue encore ses richesses ; on peut même dire que c'est lorsqu'on établit un nouvel impôt qu'il faut ouvrir une nouvelle source de productions, & voilà ce que font de nouvelles communications, qui donnent une plus grande valeur aux denrées, & quelquefois font naître dans une Province des richesses qu'on n'y soupçonnoit pas.
Si les Etats se trompent dans la maniere dont ces communications sont pratiquées en Languedoc, sur la construction des ouvrages-publics, sur la forme des adjudications ; si d'autres règlements & d'autres méthodes peuvent procurer plus d'ordre & plus d'économie, ils seront empressés de recevoir les instructions qu'on voudra leur donner. Cette partie d'administration est délicate, difficile, quelquefois minutieuse, & elle ne peut être trop scrupuleusement étudiée & réfléchie.
*20. Conclusion.
Les Etats ont exposé l'emploi des sommes qui sont à leur disposition, & ils esperent que Sa Majesté ne les désapprouvera pas ; ils se flattent même d'avoir détruit l'idée qu'on veut donner de leur magnificence ; la plupart de leurs dépenses sont de celles qu'on peut appeller productives (g), & des avances enlevées au luxe, & placées, comme on l'a dit, au plus haut intérêt. Malgré l'utilité de ces dépenses, & notamment de celles qui concernent les chemins, le desir de répondre aux intentions de Sa Majesté les a déterminés à retrancher le dixieme des sommes délibérées pour toutes les entreprises que la Province devoit supporter en corps. Cette modération générale leur a paru plus facile que le choix entre des ouvrages également nécessaires ; elle produit une diminution qui, jointe à celle que l'imposition éprouve d'ailleurs cette année, en opère une totale de trois cents quarante-deux mille neuf cents quatre-vingt-onze livres quinze sols dix deniers sur celle de l'année derniere.
[(g) Il n'y a qu'à comparer ce qu'a coûté le Canal-royal, & ce qu'on a employé en gratification au commerce du Levant, pour juger de ce qu'on appelle dépenses productives ; un million en a produit plus de dix annuels.]
Les Etats ont de plus rejeté cette année presque tous les ouvrages nouveaux qui leur ont été proposés, & s'en sont tenus à ceux qui n'auroient pu être suspendus sans inconvénient ; mais en s'empressant ainsi d'entrer dans les vues de Sa Majesté, les Etats ne cesseront de la supplier de vouloir bien continuer à ne pas regarder le retranchement des dépenses locales comme une économie dont le trésor-royal puisse profiter.
C'est l'argent qui sort d'une Province, & non celui qu'on y dépense qui la ruine ; & lorsque les dépenses publiques sont bien ménagées, elles sont communément un principe de richesse pour les pays qui les supportent.
Une regle assez sûre pour juger de l'importance des dépenses publiques est le vœu des peuples ; & les Etats se flattent de le mériter & de l'obtenir. Ce n'est pas cependant qu'ils ne croient qu'il peut y avoir des plaintes, & elles doivent même être assez communes dans un pays d'Etats ; tout le monde a droit de s'y occuper de ce que font les administrateurs, & les Etats en ont facilité les moyens par l'impression de leurs procès-verbaux. Chacun a donc son projet, & est mécontent s'il n'obtient pas la préférence.
Cette espece de censure publique est sans doute un mérite de la constitution des Etats ; & ce mérite est encore plus sensible lorsque les plaintes parviennent au trône. Ailleurs elles portent contre l'autorité même ; dans les pays d'Etats elles sont l’expression de l'amour & de la confiance. Aussi les Etats sont-ils bien éloignés de trouver à redire à ces improbations particulieres, qui sont quelquefois pour eux des avertissements dont ils ne négligent pas de profiter ; mais elles ne doivent pas être confondues avec la voix du peuple, qui résulte du suffrage de ses représentants, de celui des communautés & des principaux propriétaires intéressés ; & c'est en ce sens que les Etats ne craignent pas de dire qu'il y a plusieurs dépenses publiques sur lesquelles les peuples trouvent l'administration trop lente & trop mesurée.
Du reste, les Etats termineront ce mémoire comme ils l’ont commencé, par les plus sinceres remerciments à Sa Majesté de l'affection qu'elle témoigne à ses sujets, & du desir qu'elle a de procurer leur bonheur. Ils sont entrés dans ses vues, en faisant le seul retranchement qui étoit en leur pouvoir ; ils ne négligeront aucun moyen pour que la plus exacte économie préside à leur dépense ; & s'ils ont indiqué à Sa Majesté des réformes utiles qu'elle croie devoir adopter, ils regarderont comme un nouveau bonheur d'y concourir par leurs soins.
Nota. Les 42 pages du mémoire auquel on a été obligé de travailler avant d’avoir achevé d’imprimer les délibérations qui le précédent, devant former la suite des 376 premieres pages du procès-verbal des Etats, font un total de 418 pages, & c’est pour cette raison qu' on trouvera ci-après le folio 419.
Institutions de la province |
17791231(03) |
Justification de l'action des Etats |
L'administration des Etats a des défauts, compensés par son ancienneté, ses principes raisonnés, sa justice (*7) ; sa magnificence, toute relative, sert le prestige de la province (*7 & 19) et la gloire du roi (*18) |
Action des Etats
Institutions et privilèges de la province |
|
Institutions de la province |
17791231(03) |
Justification de l'action des Etats |
Les dépenses des Etats, contrôlées & productives, sont incompressibles sauf peut-être le taux max. du droit de collecte (*2) ; par égard pour le roi, ils baissent de 10% les dépenses pour les travaux publics (*20) |
Action des Etats
Institutions et privilèges de la province |
|
Institutions de la province |
17791231(03) |
Justification de l'action des Etats |
Supériorité des pays d'Etats et du Languedoc en particulier : mode d'acquittement efficace (*3), impôts abonnés (*5), contrôle de la commission de 1734 (*10), liberté d'opinion (*20) |
Action des Etats
Institutions et privilèges de la province |
|
Institutions de la province |
17791231(03) |
Justification de l'action des Etats |
Supériorité de l'administration languedocienne : les sénéchaussées et les assiettes sont subordonnées aux Etats, mais "chacune délibère sur ce qui l'intéresse personnellement" (*12) |
Action des Etats
Institutions et privilèges de la province |
|
Institutions de la province |
17791231(03) |
Justification de l'action des Etats |
Les Etats font un éloge lyrique de leur oeuvre économique (*9 & 10) : essor des manufactures, développement du commerce, mise en valeur des richesses minières, encouragement aux découvertes scientifiques et techniques |
Action des Etats
Institutions et privilèges de la province |
|
Impôts |
17791231(03) |
Impôts provinciaux |
Pour répondre aux demandes royales, les Etats proposent de réduire à 8 d./l. le taux max. du droit de collecte pour le collecteur volontaire & à 6 pour le collecteur forcé (*2), & de diminuer de 10% les dépenses pour les travaux publics (*20) |
Action des Etats
Fiscalité, offices, domaine |
|
Relations avec la Cour (gouvernement) |
17791231(03) |
Conseils au gouvernement |
Les Etats conseillent des économies au roi pour la réforme des abus ; c'est leur devoir "de lui dire la vérité sur tous les objets" (*1) ; il doit se méfier des financiers (*6) |
Action des Etats
Relations avec le roi, la cour, les commissaires royaux |
|
Désordres |
17791231(03) |
Abus royaux |
Officiers inutiles : receveurs (*3), trés. des mortes payes (*4), recev. du petit blanc (*5) ; logements militaires abusifs (*8) ; gratif. excessives (*8) ; mendicité (*8) ; abus des financiers (*6) ; fermes mal gérées (*5) ; places fortes inutiles (*18) |
Action des Etats
Affaires militaires et ordre public |
|
Relations avec la Cour (gouvernement) |
17791231(03) |
Modalités de l'obéissance |
Alors que le roi demande aux Etats de faire des économies, ils minimisent celles qu'ils peuvent opérer et soulignent celles que le roi peut apporter dans sa propre administration en en réformant les abus |
Action des Etats
Relations avec le roi, la cour, les commissaires royaux |
|
Economie |
17791231(03) |
Discours sur l'agriculture, l'industrie et le commerce |
Principes des Etats : gratifications accordées seulement "aux choses faites" (*10), nécessité de ne pas négliger les routes secondaires (* 12) ; grâce aux travaux publics, l'argent du riche passe sans qu'il s'en aperçoive dans la poche du pauvre (*19) |
Action des Etats
Agriculture, élevage, commerce, industrie |
|
Doléances mentionnées dans les délibérations |
17791231(03) |
Etape |
Que les mouvements intérieurs ne soient pas multipliés sans nécessité ; que ce soit l'infanterie plutôt que la cavalerie qui soit placée dans la province (*8) |
Action des Etats
Affaires militaires et ordre public |
|
Doléances mentionnées dans les délibérations |
17791231(03) |
Travaux publics |
Que le roi remette aux Etats l'administration des routes d'Albi et de Lodève, mal gérées par les Ponts et Chaussées (et peut-être même celle des chemins des communautés), et la crue sur le sel qui sert à les financer (*13) |
Action des Etats
Travaux publics et communications |
|
Relations avec la Cour (gouvernement) |
17791231(03) |
Remontrances et représentations |
Les Etats rappellent au roi qu'ils attendent depuis plus de trois ans un arrêt conforme à leurs vœux sur l'aménagement de la Garonne (*15) |
Action des Etats
Relations avec le roi, la cour, les commissaires royaux |
|
Culture |
17791231(03) |
Courants philosophiques et idées nouvelles |
Les Etats affirment qu'en perfectionnant leur gestion, ils ont "suivi les progrès de leur siècle" (*1) ; ils estiment que "les vues économiques s'étendent et se perfectionnent insensiblement" (*4) |
Action des Etats
Culture |
|
Opérations de crédit |
17791231(03) |
Emprunts de la province |
Les Etats reconnaissent l'ampleur des dettes de la province et la nécessité d'établir une caisse d'amortissement (*10) |
Action des Etats
Gestion financière et comptable |
|
Institutions de la province |
17791231(03) |
Diffusion de l'information dans la province |
Le mémoire justificatif des Etats "instruira tous les habitants de la province des règles que suivent leurs représentants et des soins que les Etats se donnent pour justifier leur confiance" (*1) |
Action des Etats
Institutions et privilèges de la province |
|
Privilèges des Etats |
17791231(03) |
Capital symbolique |
Rumeurs malveillantes contre les Etats : "ces bruits populaires d'une somme de cent mille livres distribuée tous les ans par leur président"... "ces fables, dont on ne peut concevoir l'origine" (*10) |
Privilèges de la province, des groupes et des particuliers
Institutions et privilèges de la province |
|
Géographie de la province |
17791231(03) |
Climat et conditions naturelles |
Tableau du climat et des conditions naturelles du Languedoc : sol ingrat, récoltes menacées par de fréquents accidents (orages, vents, crues) ; peu de débouchés naturels (*9) |
Action des Etats
Catastrophes et misères |
|
Economie |
17791231(03) |
Draperie |
Il a fallu que les Etats insistent auprès du roi pour réduire à partir de 1757 les gratifications aux manufactures royales ; elles sont actuellement de 35 400 l., soit, avec les gages des inspecteurs, 50 000 l. par an (*10) |
Action des Etats
Agriculture, élevage, commerce, industrie |
|
Prérogatives des membres |
17791231(03) |
Emoluments |
Montres du tiers : 4 de 150 l. chacune, ce qui, avec ce que donnent les diocèses, fait 930 l. par député, soit 44 000 l. pour les montres (*7) |
Eléments concernant l'assemblée, ses membres et son fonctionnement
Institutions et privilèges de la province |
|
Economie |
17791231(03) |
Travaux publics |
Tableau des sommes versées par les Etats pour la grande ligne de la poste et les 7 chemins associés (*12) ; rappel que le Languedoc finance ses travaux publics presque tout seul (*11), le roi y contribuant peu |
Action des Etats
Travaux publics et communications |
|
Economie |
17791231(03) |
Travaux publics |
Supériorité des trav. pub. dirigés par les Etats sur ceux des Ponts & Chaussées : pas de corvée, adjudications à la moins-dite, entrepreneurs contrôlés, commissions permanentes, entretien ; supériorité de leurs ateliers sur les atel. de charité (*11 & 12) |
Action des Etats
Travaux publics et communications |
|
Economie |
17791231(03) |
Travaux publics |
Les dépenses relatives aux ports sont réduites à l'entretien car leur "médiocrité" ne justifie pas d'y investir des sommes élevées (*15) |
Action des Etats
Travaux publics et communications |
|