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Discours/Cérémonie
Discours de l'un des commissaires du roi - E16591001(03)
Nature |
Discours de l'un des commissaires du roi |
Code du discours/geste |
E16591001(03) |
CODE de la session |
16591001 |
Date |
01/10/1659 |
Cote de la source |
C 7125 |
Folio |
001v-005r |
Espace occupé |
7 |
Locuteur
Titre |
Monsieur de Bazins |
Nom |
Bazin, de |
Prénom |
Claude |
Fonction |
Intendant |
Texte :
Monsieur de Bezons a dict :
Messieurs,
C'estoit une coustume religieusement observée chés les Estiopiens que tous les ans le roy faisoit conserver du feu sacré dont il envoyoit une partie dans toutes les provinces de son estat comme un gage de son affection envers les peuples et pour recevoir a mesme temps les hommages de leur fidelité et de leur obeissance, cette ceremonie usitée parmy des ydolatres ne peut estre plus parfaictemant represantée sans superstition que par ce qu'il se pratique a l'ouverture des Estatz de cette province ou ceux qui y portent les volontés de Sa Ma(jes)té ont accoutusmé de vous donner des aseurances de sa bonté, et bien que cette verité se persuade beaucoup mieux par les effectz que par les parolles, que les graces que vous obtenés tous les ans par Messieurs voz depputtés en soyent une preuve infailible, Sa Majesté a bien vouleu encore que M. le comte de Bieule vous en asseurat de sa part, et je n'estime pas qu'il se puisse rien adjouster a ce qu'il vous a dict sur ce sujet, car quoy que les nouvelles faveurs fournissent tousjours un ample moyen de parler en cette journée, je me suis souvent treuvé embarassé a satisfaire a cette obligation, j'aurois souhaité d'estre dispencé d'une commission que d'ailleurs je tiens a un honneur singulier, soict parce que les biens faicts perdent une partie de leur agremant lorsque l'on oblige ceux qui les ont receus a s'en souvenir et que le Roy n'y pretend pas vous en rafraichir la memoire que par de nouvelles graces, ou parce qu'il est impossible de traicter sy souvent une mesme matiere sans tomber dans une repetition qui ne peut estre qu'ennuyeuse. Mais sy autrefoix en une semblable occasion j'ay eu paine a rencontrer un subject propre pour vous entretenir, la richesse de celluy quy se presente aujourd'huy cause ma disette, le jour et l'esclat de tant de felicités ne jette pas moins d'aveuglement dans mon esprit que fairoit une grande obscurité et me met entierement dans la confusion, et puisque l'eloquence n'est autre chose qu'une nayve representation de la verité et un amas des idées que l'on a conceues sur une matiere pour estre l'objet de la connoissance de ceux quy nous escoutent, quy doubte, Messieurs, que celles que vous avés meditées en vous mesmes en cette conjoncture ou se treuve la France aujourd'huy ne surpassent infinement la foiblesse de mes parolles, heureux seullement sy je pouvois vous rappeller vos pensées devant les yeux et comme un miroir vous en rendre avec fidelité les especes.
Les dieux, disoit un ancien, considerant la disgrace de l'homme par les continuelles agitations dont il est tourmenté, par l'inquietude de son esprit et par l'instabilité de son imagination qui est le plus grand ennemy qu'il porte en lui mesmes, avoint souhaité de faire un meslange des biens et des maux afin de fixer en quelque sorte nostre condition et que nous ne feussions point emportés par l'excés de la joye ny abatus par celluy de la douleur, mais ne pouvant pas accorder ces deux contraires ilz les ont faict succeder de sy près que nous n'avons pas lieu de tirer de l'orgueil des biens qui nous arrivent ny de nous desesperer des maux qui nous survienent, en effect il n'y a point de plaisir dont l'excès ne soit temperé de quelque douleur, il n'y a point de douleur quy ne finisse prontement sy elle est extreme, cella n'est pas moins veritable dans la morale que dans la nature, et de la il arrive que comme nous ne penetrons pas les essences des choses, que nous n'en voyons que les accidens, que difficillement pouvons nous les connoistre que par l'opposition de leur contraire, la santé est precieuse a ceux qui ont souffert de longues maladies, les richesses ne se possedent avec plaisir que par des personnes quy ont experimenté la peauvretté, et pour concevoir aisement le bonheur qui nous arrive aujourd'huy faites reflexion, s'il vous plaist, sur nos maux passés, souffrés que je vous en rafraichisse la memoire en peu de mots, non pas pour ouvrir de nouveau de[s] playes quy sont fermées, mais pour vous faire sentir nostre felicité, ainsy les ombres dans la peinture servent a mettre un tableau en son tour et relevent l'esclat et le coloris de l'object qui est representé.
La France ne fut jamais menacée de plus grandz maux qu'après la perte du feu Roy Louis treiziesme, nous avions une guerre declarée depuis longtemps avec l'Espagne, nous avions quantité d'alliés a soustenir dont l'union nous estoit necessaire pour notre propre conservation ; il est vray que les advantages que le feu Roy avoit remporté sur ses ennemis estoint fort considerables, les armes de la France s'estoint signallées par quantité de victoires et par la prise de pleusieurs places, mais ces victoires, quoyque grandes, au lieu d'abatre les forces de ceux a quy nous avions afaire, les avoint irrités pour les obliger de se prevaloir de l'estat ou nous trouvions, cette perte de nostre province estoit augmentée par l'aage ou se trouvoit le Roy, et l'on scayt que d'ordinaire les minorités entraisnent avec elles des maux presque inevitables, car bien que l'Estat ne tombe point en minorité mais seulemant la personne du prince, que l'autorité soit toute entiere entre les mains de ceux quy ont l'administration des affaires, neaumoins par des raisons cognues a tout le monde le royaume souffre des convulsions extraordinaires en cette conjoncture, ainsy lorsque le soleil est eclipsé les corps sublunaires qui ne peuvent subcister que par l'impression de sa chaleur et de sa lumiere tumbent en des deffaillances qui, au jugemant des naturalistes, n'arrivent jamais en d'autre temps, c'e[s]t par cette raison que la sagesse de noz ancestres a borné la minorité de noz rois a quatorze ans, que Louis en disposa ainsy par son testemant allant a la guerre sainte, que son fils Philipe le Hardy eust les mesmes sentimens, mais inutillemant tous deux parce qu'ils laisserent leurs successeurs advancés en aage, que la prudence de Charles cinquiesme consomma un ouvrage qui n'avoit esté que dans la pensée de ses predecesseurs, aussy cette disposition fut receue de toute la France comme un presant du ciel, soit parce que Dieu repend plus abondament ses graces sur ceux qu'il appelle au gouvernement de l'Estat que sur le reste des hommes, que les anges qui sont commis a leur conduicte sont d'une [e]spece plus eslevée et qu'ainsy selon saint Denis ils poussent leurs lumieres plus près de la divinité, ou parce que, les loix fondamentales de nostre Estat renfermant toute la puissance en la personne d'un seul, l'autorité du Roy ne peut estre balencée par aucune oppozition, qu'elle n'a aucune regle qui borne sa puissance que celle qu'elle se donne a soy mesme, qu'elle peut se dispenser des loix qu'elle a faictes par des raisons aussy fortes que celles qui l'ont obligé de les establir, quoyque d'ailleurs la justice les maintiene dans leur vig[u]eur lorsqu'elles sont raisonnables, pour servir de fondemant a la quietude des peuples, et qu'enfin tous les ordres du royaume ont esté convaincus que les fautes qu'un jeune Roy majeur faict commettre dans l'administration de son royaume ne sont pas sy perilieuses que les entreprises que l'on pourroit faire sur son authorité pendant son bas aage, qui sont toutes mortelles a l'Estat ; cependant, par un bonheur qui ne peut estre assez admiré, les premieres années de la regence feurent illustres, la reine n'oublia rien pour la grandeur de la France, elle ne fut point susceptible de ces opinions eronnées qu'il ne falloit pas conserver les ministres qu'elle avoit trouvés dans les affaires, elle donna sa confiance a cellui que le feu Roy avoit honnoré de la sienne, aussy ses esperences ne feurent point trompées, elles surpasserent au contraire de beaucoup ses attentes, et l'on scayt que la prudence de S. A. R. dans ses conseils, sa valleur dans les armées, la passion qu'il a tousjours eue pour la personne du Roy et pour le bien de l'Estat contribuerent beaucoup a rendre la France victorieuse au dehors et florissente au dedans.
Ces felicités feurent interrompues par nostre inquietude naturelle, nous fusmes artisans de noz propres maux, nous fusmes longtemps menacés d'un grand orage, qui enfin s'eslevant mit la France a deux doigtz de sa ruine, alors quels vœux ne fismes nous point pour la paix ! Nous la regardames comme un souverain bien et, près de sacriffier le fruict de toutes noz victoires, nous l'aurions acheptée mesmes avec un grand desavantage, la fureur ne se porta[-]t[-]elle pas jusqu'à blamer la conduicte du ministre, voulumes nous pas penetrer dans les secrets des divinités visibles qui nous gouvernent et leur imputer les evenemens dont nous en estions les autheurs, cepandant nostre incomparable ministre avoit a combatre les maux du dedans et du dehors, et mesmes ceux qui suivoient la fortune de l'Estat sembloient desirer de lui qu'il les tirast bientost du peril et qu'il les meit a l'abry du naufrage dont ils se croioint menacés, semblables a ceux quy, après avoir esté chercher dans les extremités du monde des tresors d'un prix inestimable, s'ils viennent dans le retour de leur navigation a estre accueillis d'une tempeste, ils accusent le ciel et les eslemans, ils s'en prenent a la conduicte de celluy quy gouverne le vesseau, et sans songer aux peynes qu'ils ont prises dans un sy long voiage, ils consentent a la perte de tout ce qu'ils ont ganié, ils demandent qu'[il] leur fasse prendre terre en quelque lieu que ce soit, ils consentent que le navire s'eschoue et hasardent mesmes de perdre leur liberté pour sauver leur vie, tant la crainte de la mort a faict d'impression sur leurs esprictz, mais ce sage pilotte qui les conduict neglige les meurmeures et les plaintes que la lac[h]eté leur a faict concevoir, il combat les orages irrités pour la perte et conduit heureusemant son bastimant au port qu'il s'estoit proposé, alors chacun, voyant sa terre natale, benit la conduicte de cellui qui sera [sic pour saura ?] sy heureusemant guider, desadvouent toutes les plaintes qu'ils avoint formées contre luy, jouissent heureusement les fruictz de ces travaux et proffitent de ce qu'ils avoint acquis avec tant de paine. N'est ce pas, Messieurs, la figure de la conduicte de Monsieur le cardinal, n'a-t[-il] pas garenty par sa prudence l'Estat de sa prochaine ruine, n'est ce pas a ses conseils que nous devons tous les advantages que nous avons remportés, n'est-ce pas a ses soins que nous sommes obligés de la paix quy doibt procurer la felicité des peuples et le repos de toute l'Europe, ne disons nous pas, Messieurs, que le destin a cest evenement sy extraordinaire [que] l'on prend souvent pour des effectz de magie ce qui n'est qu'une production de la nature mais dont la cause nous en est incognue, et comme l'admiration est la fille de l'ignorance nous atribuons a la fortune ce qui est deu a une haute politique et a une verteu espurée, parce que cette ame universelle du monde se communique plus particulierement aux enfans des dieux qu'aux autres hommes, c'est ce qui a faict dire au plus sage de tous les philosophes que la morale, et la politique qui est sa plus noble partie, estoit la plus excelente de toutes les sciences, parce que toutes les autres ont leur object au dehors et attirent l'ame hors d'elle mesme pour s'y appliquer, au lieu que dedans les considerations qu'elle faict pour le gouvernement des Estatz elle se reflechit sur soy pour estre plus capable d'agir, s'unit en quelque sorte pour ainsy dire avec la divinité pour la communication des lumieres que la providence eternelle distribue pour la conduite des peuples. Après cella ne soiés pas surpris sy la prudence de nostre grand ministre nous produict aujourd'hui des advantages qui donneront de l'envye a toutes les nations et que les siecles a advenir auront paine a croire, cette province n'a pas peu contribué a cet ouvrage de la paix par la fidelité inviolable qu'elle a conservé pour le service du Roy soubz les ordres de S. A. R., feu Monseigneur l'archevesque de Narbonne, dont la memoire sera tousjours en honneur parmy les gens de bien, n'a jamais perdu une occasion d'inspirer ses sentimans a cette compagnie illustre, qui d'ailleurs en est fort persuadée, il avoit desiré avec passion de voir cette grande journée, mais cette gloire, Monsieur, vous estoit reservée, David prepara les materiaux pour la construction du temple de Jerusalem, mais l'ouvrage fut consoumé par Salamon (sic), son successeur, et certes, Monsieur, cet honneur vous estoit deub et par les services que vous avés rendus a l'esglise et a cette province et par l'attachement que toute vostre famille illustre a eue pour le Roy dans un temps ou l'on faisoit gloire d'avoir des sentimans contraires.
Mais bien que tous les ordres de l'Estat respirassent de voir la paix, il y a neaumoins a s'estonner que nostre prince l'aye desirée avec tant d'empressement, et qu'estant doué de tous les advantages de la nature, dans un temps ou les victoires sembloint lui tendre les bras, il aye rejetté ces charmes et ces douceurs pour nous donner du repos, qu'il aye vouleu se vaincre lui mesmes pour procurer nostre felicité commune, c'est icy ou l'amour faict son plus grand effort et ou Sa Majesté, dans le dessain de vous donner des marques de son affection et de sa bonté, prefere vostre bonheur a toute autre consideration.
Les verteus des conquerans ont sans doubte plus d'esclat que les autres, et sy elles sont accompagnées de moderations elles ne peuvent jamais estre assés estimées, parce qu'il faut qu'ils empruntent sur leur propre fonds, qu'ils se temperent par eux mesmes sans que rien les y oblige. Je scay que le nom des Scipions, des Pompées et des Charlamagnes (sic) attirent encore la veneration de tout le monde, l'on se souvient que la veue de la statue d'Alexandre inspira a Cezar les premiers sentimans de gloire, mais je doubte si leurs actions ne sont pas plus belles pour la posterité que pour ceux qui en ont esté tesmoins, car enfin la victoire traisne avec soy des maux inevitables, les triomphes d'un conquerant sont la desolation de plusieurs provinces, pour s'asseurer des peuples subjugués il faut chasser les plus accredités, il faut demanteler des villes, metre des fortes garnisons dans les autres, establir des colonies toutes entieres et faire servir toute une nation a la gloire d'un seul homme, c'est en quoy je ne puis assés estimer les victoires d'Henry quatriesme, puisqu'après avoir conquis son propre Estat, sa clemance suivit de sy près les triomphes qu'une mesme journée le veit entrer dans sa capitalle, en chasser ses ennemis, y establir la quietude publicque et les vaincus disputer de leur bonheur avec les victorieux, Louis treize son filz consacra ses premieres armées au bien de la religion, au restablissement des autres (sic pour autels) et des temples abattus, et après avoir arraché la rebellion de l'esprit des peuples, il donna l'edict de grace de 1629, et jamais ceux qu'il surmonta n'ont esté plus heureux que despuis qu'ils ne sont plus en estat d'estre tous les jours sacrifiés a l'ambition de ceux qui les faisoi[en]t agir pour leur intherest. Nostre monarque a bien tenu la mesme conduite, il [a] apaisé tous les desordres de son royaume sans avoir laissé aucune marque funeste de [s]es victoires, mais cette conduicte qui est quelquefoix bonne a l'esgard de ses propres subjectz ne peut pas avoir lieu pour les victoires estrangeres, vous n'arrachés pas aisemant du cœur des nations que vous avés surmontées l'amour qu'ils ont pour leur prince, et quelque douceur qu'aye pour eux le gouvernement, ils gardent tousjours le sentiment de cellui dont ils ont esté tirés. Effect de la providence divine, ce grand ouvrage de la paix est scellé par le mariage de nostre prince avec l'infante d'Espagne, le renouvellem(ent) de l'alience des maisons de France et d'Autriche est un gage de la durée de cette union et de cette inteligence, les villes que le roy a conquises par les forces de ses armes croiront passer soubz sa puissance comme une suite de ce mariage et s'estimeront pleustost donnés que vaincus, et nostre prince ne regnera pas moins dans leurs cœurs que dans l'enceinte de leurs murailles, c'est ainsy que Dieu recompence la verteu de la reine, c'est ainsy qu'il couronne la sainteté qui a tousjours accompagné [s]es actions, face le ciel que d'un mariage sy desiré il en puisse naistre des enfens dignes de la verteu de leurs encestres, qu'ils puissent remplir toutes les esperances que l'on peut concevoir des heretiers de saint Louis, d'Henry quatre et Louis treize, de Charles Quint et de Philipes, et pour dire tout en un mot, qu'il en sorte des successeurs pour les siecles advenir dignes de nostre monarque, puisqu'il renferme en lui les verteus de tous ces predecesseurs. C'est icy, Messieurs, ou je m'aperçois que la joye, lorsqu'elle est grande, est muette aussy bien que la douleur, et dans l'excès de celle que j'ay conceue il ne me reste de la force que pour desirer que nous puissions meritter l'amour d'un sy grand prince, et que dans les vœux que je fais pour toute cette province, a qui je suis sensiblement obligé, elle puisse donner l'exemple a toutes les autres du royaume de son zelle et de son affection, comme elle a faict jusques a presant de sa fidelité et de son obeissance.